Message De Fin d’Année

Chers compatriotes,

Je m’attendais à m’adresser à vous, en ce jour du 30 décembre, en tant que Présidente élue. Ce n’est pas le cas car, avec 18 autres candidats dans les conditions difficiles que l’on sait, il a été impossible d’obtenir les 50% + 1 prévus par la Constitution. Cependant, forte de la légitimité que vous m’avez conférée, de la ferveur et de la liesse populaires avec lesquelles j’ai été partout accueillie, je vous adresse mes meilleurs vœux pour la nouvelle année.

A l’occasion de la Noel célébrée aussi bien par les chrétiens que par des adeptes d’autres religions, je n’ai pas souhaité la fête joyeuse. Je savais qu’il n’y aurait pas de célébration dans la plupart des foyers haïtiens et que la joie ne serait pas au rendez vous. J’ai pensé à ceux qui passeraient ce jour, pour la première fois, sans des êtres chers, un père, une mère, un époux, des frères et sœurs, des enfants, des amis, emportés par le tremblement de terre, par un cyclone ou, plus récemment, par le choléra. Sans doute ils ont pleuré cette nuit-là, car il y a des chagrins qui s’apaisent mais ne disparaissent pas.

J’ai pensé à ceux qui vivent encore sous des tentes abimées et bientôt inutilisables, près d’un an après le séisme. Ils n’ont pas pu, en cette nuit de Noël, comme à d’autres, allumer ne serait-ce qu’une bougie, ni non plus gâter leurs enfants.

J’ai pensé à toutes les mères, chefs de famille qui n’ont pas pu acheter un petit quelque chose pour leurs enfants, à ces vaillantes femmes anonymes qui, ce soir là, comme les autres, sont restées à la lumière d’une lampe "tête gridap" à offrir les marchandises dérisoires qui leur rapporteraient, malgré tout, un petit « chocho » pour faire monter la chaudière.

J’ai pensé à tous ces jeunes qui, ce soir là, ont ressenti un peu plus que d’habitude, les frustrations de leurs conditions d’existence, sans travail et sans possibilité d’étudier et qui, sans doute, n’ont pas pu s’offrir une soirée de détente.

J’ai pensé aux paysans démunis pour qui Noël est toujours un jour comme les autres. J’ai pensé à tous ceux qui exercent un service public, les policiers qui travaillent dans des conditions difficiles, les infirmières, les veilleurs de nuit, les agents du service d’incendie, tous attentifs à notre sécurité et notre bien-être et qui n’auront pas pu se trouver avec leur famille.

Le 24 décembre, j’ai préféré me rendre, comme d’habitude, à Carrefour pour participer à la distribution de « boquites », de nourriture préparées à l’intention des démunis. Et là, une fois de plus, j’ai rencontré des êtres dont la nation n’a pas fait des citoyens, des hommes et des femmes en vêtements délavés mais dignes, venus de très loin, certains des 3h du matin, pour recevoir ce don de la générosité et de la fraternité, éperdus de reconnaissance et souriants malgré les morsures du soleil et la soif de l’attente. Une fois de plus, j’ai été à la fois humainement bouleversée et révoltée que dans notre pays subsistent tant d’injustices sociales qui condamnent l’immense majorité de nos concitoyens à nourrir l’espoir de la compassion d’un jour.

J’ai eu envie de demander pardon à la Vie, à Dieu, à notre pays. Si la charité demeure un noble sentiment que tout un chacun devrait pratiquer dans sa sphère de vie, un pays ne peut pas se l’approprier. Il lui faut pratiquer la justice sociale.

L’après midi fut plus gratifiante. En effet, j’ai présidé à des distributions de jouets et je remercie ce généreux donateur. La joie des enfants réchauffe le cœur. Je crois que des enfants ont besoin de deux occupations : les jeux et l’étude. Or, chez nous, nous le savons, la plupart des enfants n’ont rien reçu à Noel et, l’an dernier, avant le 12 janvier, 800.000 enfants, toutes catégories d’âge n’avaient pas fréquenté l’école. Ceci est inacceptable ! Cela doit changer.


Chers compatriotes,

L’année s’achève pleine d’incertitudes. Elles sont peut-être voulues car les faits sont clairs et les responsabilités définies. Après des élections, on nous a annoncé, coup sur coup, la formation d’une commission nationale mort-née, puis un accord signé entre le Secrétariat Général de l’OEA, le gouvernement haïtien et le CEP sur la « mission d’experts de (sic) la mission d’observation électorale conjointe de l’OEA et de la Communauté des Caraïbes »

Elle appelle les observations suivantes :
1. La dernière version du texte, contrairement à la première, porte une date, le 29 décembre et n’indique tout comme la première aucune durée quant au déploiement de la mission, ce qui donne à celle-ci un mandat illimité dans le temps. C’est un accroc anormal dans un document de nature internationale.

2-Il s’agit d’un accord tripartite plaçant sur un pied d’égalité une organisation internationale, le Gouvernement haïtien et une institution de l’Etat dont le statut, faut-il le souligner, ne repose sur aucune disposition constitutionnelle, étant la 13ème provisoire depuis 1987. Ceci représente une anomalie eu égard aux règles en usage car, en toute logique, il ne devrait engager que l’Etat d’Haïti représenté par son Gouvernement, à charge pour lui d’en définir les implications pour les autres instances.

3-Il n’a pas de valeur juridique, et il ne saurait servir de référence légale pour confirmer ou infirmer la validité des résultats électoraux. Il s’agit d’un accord politique et l’on ne comprend pas que le CEP ait ordonné la cessation des opérations liées aux contestations introduites par des candidats en attendant la publication des résultats de cette mission. Le point "b" des objectifs de la Mission indique d'ailleurs que celle-ci assistera aux "auditions du BCEN et fera les observations et recommandations appropriées". Cette disposition représente un dangereux précédent.
Nous assistons à un renversement des normes découlant de la souveraineté par la soumission des résultats d’une opération éminemment nationale, les élections, aux conclusions d’une opération internationale.

4-Parmi les objectifs de la mission, « Evaluer les pratiques, procédures et procédés appliqués lors des élections présidentielles du 28 novembre 2010 relativement à la tabulation des votes ainsi que d’autres facteurs affectant celle-ci concernant les résultats préliminaires publiés par le CEP. »

Nulle mention n’est faite des élections législatives lesquelles ont soulevé aussi de nombreuses contestations. Cette omission est grave car elle laisse dans l’ombre le destin du Parlement, une institution importante de la vie nationale.

5-L’initiative prise par le Gouvernement de solliciter l’envoi de cette mission, en fait, deux missions selon les termes de la lettre adressée par le Président de la République. le 13 décembre au Secrétaire Général de l’OEA, intervient pour bousculer le chronogramme établi en ce qui concerne la suite logique du déroulement des opérations électorales. Selon ce qui se dit, se répète, filtre des conversations chuchotées en confidence par différents acteurs, le travail de cette mission devait préalablement s’achever avant la fin de l’année, mais les résultats ne seraient communiqués que le 5 janvier, date à partir de laquelle, le CEP, s’appuyant sur les conclusions dudit rapport, publierait à son tour ses résultats. La conséquence logique est que nous allons enregistrer un retard considérable dans le chronogramme, car le deuxième tour des élections présidentielles et législatives n’aura pas lieu le 16 janvier, la quarante-neuvième législature ne sera pas installée à temps, en fait, selon la Constitution, elle devrait être opérationnelle le 2ème lundi de janvier, soit le 10, et le nouveau président ne prêtera pas serment le 7 février 2011.

Ce qui précède éclaire en partie les propos tenus par le Président de la République, le jeudi 23 décembre dernier. Il affirme s’accrocher à la loi et aux procédures et pourtant il malmène la première et fait fi des secondes, en ne prévoyant pas que ses demandes adressées feraient basculer le calendrier électoral.

Le 7 février est une date constitutionnelle (Art. 134-1 de la Constitution de1987). Malgré les dérives enregistrées et aussi le carcan que celle-ci a imposé en ne tenant pas compte des impondérables d’une actualité politique fluctuante et que j’ai souvent dénoncées, elle s’impose. Et la date des élections le 28 novembre s’est conformée aux prescriptions constitutionnelles (Art. 134-2) et il était possible de respecter celle de la transmission du pouvoir le 7 février 2011.

A présent nous assistons à un bouleversement lourd de conséquences pour la stabilité de la nation. En effet en 2008, les parlementaires avaient décidé de prolonger leur mandat en insérant l’Art. 232 dans la loi électorale. Toutefois il était précisé que celui du Président prendrait fin le 7 février 2011.

J’avais combattu ce « dégui » qui avait indument été appliqué. Puis le Président a obtenu d’un Parlement docile une prolongation de son propre mandat, au motif que celui-ci était de 5 ans. Ayant pris ses foncions le 14 mai 2006, il estime normal de rester au pouvoir jusqu’au 14 mai 2011. Cette tentation muée désormais en projet, il l’a toujours eue. Or, non seulement cette loi de 2008 amendée à son profit et à celui des parlementaires est anticonstitutionnelle, mais aucune loi n’est supérieure à la Constitution elle-même et, en l’occurrence, c’est le temps constitutionnel qui s’impose, au nom de l’état de droit et non un temps légal opportuniste et contestable, s’appuyant sur une quelconque raison d’état.

Il y a quelque prétention à affirmer « Et s’il y a une solution que l’on trouverait sans moi elle est vouée à l’échec ». C’est ramener le destin de la nation aux desiderata d’un homme et l’histoire est remplie de ces utopies aboutissant à de cinglantes déconvenues dont le souvenir aurait dû ramener le président à plus de modestie.

On peut aussi souligner que son souci affirmé maintes fois dans ses déclarations de respecter la Constitution serait plus crédible si, au lieu de s’accrocher à la date du 14 mai comme à une bouée de sauvetage, il laissait au moins entendre que la passation de pouvoir à son successeur pouvait se produire à la date la plus proche du deuxième tour des élections. Et on ne peut pas oublier les diatribes proférées par ce même Président Préval, en particulier le 17 octobre 2007, contre cette Constitution responsable, selon lui, de l’instabilité politique du pays. C’est bien le cas de dire : il adore maintenant ce qu’il a brulé jadis. Mais une Constitution n’est pas un puzzle dont on peut, à loisir, retirer les pièces. Elle s’impose comme un tout.

Monsieur le Président, vous portez en vous ce pays, mais l’aimez-vous autant que moi ? Notre génération a grandi, connu un pays pauvre mais digne et debout.

Aujourd’hui la nation est à genoux, le monde entier la tourne en dérision, parlant de nos incapacités comme des tares congénitales. Des sacrifices s’imposent à vous et ils commandent des révisions déchirantes.


Chers Compatriotes,

Nous n’avons jamais approuvé l’idée d’un Gouvernement Provisoire pour 45 jours, en dépit d’une information erronée que je démens formellement. En cette fin d‘année, au nom du RDNP et des formations qui l’accompagnent je renouvelle l’engagement pris pour que s’installe dans notre pays l’état de droit et le respect de la Constitution, la loi mère. Elle a besoin d’être revue et corrigée mais, en attendant, elle s’impose aux gouvernants et aux gouvernés.

Comme Présidente de la République, je m’engage à la respecter, la faire respecter, en attendant qu’elle soit amendée ou remplacée selon les procédures idoines.

Nous assumerons les engagements internationaux. Nous sommes des internationalistes et nous croyons en la solidarité entre les gouvernements et les peuples, par conviction et par raison. Notre pays est un membre fondateur de l’ONU et de l’OEA et nous avons souscrit aux dispositions de leur charte respective. Nous estimons que nous avons besoin du meilleur de leurs activités et nous pensons qu’il est possible de concilier la préservation de notre dignité de peuple et de notre souveraineté avec les obligations découlant de notre participation lucide et réfléchie. Il n’est ni dans notre intention ni de nos intérêts de nous confronter à elles et nous associons dans ces dispositions les pays dits amis d’Haïti dont nous estimons que l’amitié la meilleure n’est pas celle qui s’impose, mais celle qui est suggérée.

Dans la conjoncture présente, nous attendons la préparation du second tour à une date qui permette de respecter le plus possible les prescrits de la Constitution.

A tous nous disons que les années se suivent et ne se ressemblent pas nécessairement. Nous voyons 2010 s’en aller sans regret, mais nous n’attendons pas de 2011 qu’elle ne nous amène que des bonheurs. Soyons lucides mais conservons l’optimisme qui est un choix. Il nous en faut pour entamer le changement, la reconstruction du pays, l’amorce d’un développement durable et de l’implantation de la justice sociale.


Mirlande Manigat
Candidate à la présidence de la République d'Haïti