René Benjamin S'en Est Allé
Une mort attendue qui nous fait mal au coeur : René Benjamin s'en est allé, vieux parisien, resté haitien sous toutes les coutures. Paix à son ame !
Jamais nouvelle attendue n'aura été si profondément ressentie avec une tristesse naturellement éprouvée. Voir partir un octogénaire avancé, peut paraitre banal pour ceux qui voient les rangs se clairsemer progressivement au grand age des départs attendus ou l'on se dit avec le poete : c'est "le moment crépusculaire" de la vie. Mais René Benjamin ne tardait pas de vivre et ne cessait pas de vivre d'une vie pleine.
Qu'est-ce qu'il n'a pas été au cours de son existence de "chrétien vivant" comme on dit chez nous d'une expression générique pour dire un etre humain de chair et d'os, d'intelligence et d'ame. Il a été, comme professionnel, un ingénieur dans le sens ou l'on disait chez nous avant la création de l'Ecole Polytechnique de l'Université d'Haiti un spécialiste des "sciences appliquées". Mais il a été surtout, à cause des heureuses vicissitudes d'un long exil, "le consul général haitien à Paris" sans le titre ni le statut mais dans la réalité de la fonction reconnue dans la pratique par les autorités préfectorales françaises elles-memes.
Madame Mirlande Hyppolite Manigat , Secrétaire Générale du RDNP dira la qualité de son appartenance indéfectible à son parti dont il a été une figure exemplaire de loyauté dans l'appartenance au rang d'un haut dignitaire conscient de ses responsabilités. Présent lors de la création du parti à Caracas en 1979, il en a été un dirigeant conséquent quand certains amis que vent emporte voyaient qu'il ventait devant la porte. C'est que son appartenance était vécue avec l'indépendance qui le caractérisait et il pouvait avoir pour hote chez lui, à demeure, les plus grands "lavalassiens" y compris d'ailleurs le père Jean Bertrand Aristide lui-meme dont il a été proche et partageait le pain et le sel sous son toit aves les affidés de convictions anti-lavalassiennes connues. Connues de tous, ses armoiries RDNPiennes et RDNPistes.
C'était un ami. Il n'en faisait pas gloire, il n'en faisait pas mystère. Je l'ai connu quand, directeur du service du téléphone et du télégraphe au pays, il était, et pour cause, le nom le plus demanré et le plus populaire des quartiers ou il y avait des abonnés à la satisfaction de ce besoin alors rare du téléphone chez nous. Plus tard, quand un sort injuste mais finalement clément le fixa à Paris, tout en se payant les tournées familiales, amicales et partisannes en Amérique du Nord (USA et Canada), son appartement ètait le rendez-vous dominical des étudiants et des professionnels résidents ou de passage à Paris et Mirlande, alors étudiante puis jeune professionnelle à "SciencesPo" fréquentait assidument René et Jacqueline le couple le plus accueillant parmi les foyers modestes de classes moyennes de compatriotes des 5ème, 6ème, 13ème, 14ème, 15ème et 17ème arrondissements et dans le giron des faubourgs de la banlieue parisienne. Les deux couples, eux et nous, prenaient plaisir à se rencontrer et René était un gai luron. Pas conformiste du tout ! J'ai vu René et Jacqueline, en couple, à poil, dans un camp de nudistes ou ils venaient se détendre sainement. Il aimait blaguer et rire et ne dédaignait pas l'agréable compagnie de la gent féminine. En somme, il avait tout pour etre un bon curé de paroisse, mais il ne l'a pas été. Et c'est important et significatif. Il a été un grand laique engagé, sans oeillère et sans conformisme, accessible à toutes les tentations.
Mais je n'a pas dit encore les deux traits les plus saillants de la vie terrestre de notre grand défunt. Son dévouement inlassable pour la cause du développement de notre pays. Il animait à Paris une ONG qui s'appelait "Haiti-Développement" à rendre Jacqueline jalouse. C'était son oeuvre, c'était sa passion. Ses collaborateurs et ses disciples savent le vide que sa disparition vient de créér.
Et enfin, René a été l'honnete homme par excellence, un "vir bonus", un homme de bien comme on en voit plus guère les échantillons se faire nombreux sous nos cieux. Servi par une foi catholique à toute épreuve, qui faisait de sa paroisse un lieu de travail permanent pour les haitiens croyants sur lesquels il exerçait son magistère spirituel, mais par-delà sa paroisse, au-delà des limites de son action religieuse, René a incarné les valeurs morales de son civisme universel. Un honnete homme, un homme de bien vient de quitter son enveloppe charnelle. Sur sa tombe, avec tous ceux que cette mort afflige, parents et amis, "allons cueillir les épis".
Leslie F. Manigat