L’Option du R.D.N.P.
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1-Inventaire des ressources naturelles et humaines : Avant toute chose, il faut un inventaire des ressources naturelles et humaines du pays. Nous le réclamons depuis des années comme le point de départ obligé de toute politique scientifique de développement. De quoi disposons-nous au départ quand nous nous mettons au travail ? Disons-le ; la notion de ressources naturelles est à revoir, car nous acceptons trop exclusivement comme ressources les éléments de la nature que le regard européen a trouvé appropriés à ses besoins. Il nous faut jeter un regard neuf sur notre nature tropicale, pour y détecter les objets naturels à consommer ou à utiliser. Dans un article de la série « Expériences étrangères d’intérêt spécial pour Haïti » publié dans le No. 6 (Janvier-Mars 1981) de notre revue « L’Alternative », n’avions-nous pas montré comment, dans l’île de Bora-Bora, en Polynésie française, on utilisait l’enveloppe de la noix de coco pour alimenter un gazogène produisant de l’électricité pour les 2.700 habitants de l'île, trois moitiés de bourre permettant de produire 1 kilowatt-heure et cinq bourres assurant la consommation d’électricité d’une famille. Ainsi, l’amande séchée de la noix de coco continue de servir à la production de coprah (ou huile de coco), le ramassage de la bourre permet d’alimenter le gazogène producteur d’électricité, et enfin le charbon de coque de coco résidu de la gazéification du combustible se trouve être un agent filtrant très prisé pour l’énergie nucléaire. Il nous faut donc nous ingénier à trouver des ressources naturelles en jetant un regard neuf sur la nature par rapport à nos besoins.
Mais c’est sans doute sur les ressources humaines que nous devrons le plus compter. D’abord, il nous faut un répertoire de nos techniciens, professionnels, experts dans les diverses branches scientifiques et techniques. Le hasard et un ami nous ont fait rencontrer à Washington un jeune haïtien spécialiste de la détection des ressources naturelles (minières surtout) par satellite ! Nous sommes riches en matières grise mobilisables pour le développement. En outre, la capacité de travail et l’endurance au travail de nos éléments populaires sont devenues proverbiales dans la Caraïbe, sur une base comparative avec les éléments locaux. Enfin, l’Haïtien a développé, face aux conditions adverses, une créativité qui va de la débrouillardise jusqu'à l’invention technique, en faisant preuve d’une étonnante ingéniosité. Son adaptabilité au progrès technique moderne est reconnue dans le monde de la sous-traitance. Si bien que nous pouvons dire que l’homme haïtien est encore notre capital le plus précieux.
2-Evaluation de nos besoins : Et puis il nous faut une évaluation de nos besoins. Toute contingente qu’elle soit, tout conditionné socialement qu’il soit, la notion de « besoin correspond à une réalité objective, exprimée en termes d’exigences naturelles en rapport avec la physiologie et à la psychologie de l'Haïtien, en termes d’exigences économiques en rapport avec l’organisation de la production, et d’exigence sociales en rapport avec les différenciations sociales chez nous. Contestées, les distinctions entre besoins primaires, secondaires et tertiaires, ou entre besoins collectifs et individuels sont et demeurent opérationnelles chez nous dans le cadre de nos préoccupations de développement. Ainsi, dans nos vœux de nouvel an pour l’année en cours (1987), nous recensions les besoins les plus urgents de la collectivité. « L’accès à la terre fertilisée par les intrants, accès à l’eau, les routes d’accès, accès à l’électricité, accès au crédit, accès à la nourriture quotidienne, accès au travail, accès au savoir et aux savoirs-faires modernes, accès aux soins de santé, accès au logement, accès au vêtement, accès à la sécurité et la qualité de la vie, autre point de départ obligé de toute politique de développement. Mais celle-ci, dans sa finalité, doit aussi viser à satisfaire l’autre gamme de besoins définis dans notre « Décalogue des besoins fondamentaux du peuple haïtien », à partir d’une autre perspective de la détermination de ces besoins :
a)Le besoin élémentaire d’exister et de vivre, c’est-à-dire de pouvoir se nourrir, se soigner, se loger, se vêtir ;
b)Le besoin de lumière, c’est-à-dire d’apprendre, de savoir et de comprendre à tous les niveaux de la connaissance ;
c)Le besoin de développement intégré ;
d)Le besoin de justice sociale, au bénéfice prioritaire des défavorisés, déshérités et démunis de toutes sortes, mais aussi pour le bien de tous, sans exception ni exclusive ;
e)Le besoin de démocratie politique par la garantie des libertés fondamentales, le respect des droits humains et l’établissement des garde-fous pour prévenir et sanctionner les violations des unes et des autres ;
f)Le besoin de conscientisation par l’éducation politique et civique qui assure l’apprentissage de la démocratie politique et sociale, la restauration du sens du bien public, de la dignité nationale et de la fierté d’être haïtien ;
g)Le besoin de participation responsable créatrice et solidaire, de chacun selon ses capacités, et de tous au service de l’intérêt national à défendre, à valoriser et à promouvoir ;
h)Le besoin d’honnêteté administrative et de probité morale dont une longue pratique généralisée de corruption rend d’autant plus nécessaire l’urgente restauration ;
i)Le besoin de confiance en nous-même et en autrui : d’abord pour avoir compter avant tout sur nos forces dans la solidarité nationale, apprécier et mettre en valeur ce qui est notre ;
j)Le droit légitime au bonheur. En bref, individuel, familial ou collectif d’une part, primaire (nécessité), secondaire (confort) ou tertiaire (luxe), le besoin est une donnée sociale, qu’il s’agisse du besoin d’une école, d’un dispensaire-hopital ou d’un réseau de transport, ou qu’il s’agisse du besoin de sécurité, de considération ou de dignité ; Qu’il s’agisse d’un siège de tap-tap ou de l’acquisition d’une Mercedes Benz. Certes, en société libérale, tous les besoins peuvent être légitimes, mais le bien commun amène à établir des priorités et à exercer des arbitrages dans la reconnaissance et la satisfaction des besoins, et même à édicter une obligation lorsqu’il y a un conflit possible entre le besoin de la collectivité prise dans son ensemble et les désirs ou souhaits de certains, qui risqueraient de ne pas ressentir ce besoin collectif. Il s’agira, par exemple, de rendre effective la prescription des vaccinations obligatoires pour consacrer par la un besoin naturel de protection de la santé à imposer même à ceux qui préféreraient ne pas se faire vacciner. Notre politique de développement devra donc privilégier la réponse collective aux besoins du peuple haïtien.
3-Il faut rompre avec l’archaisme sous toutes ses formes, technique, sociale et mentale. Il est aisé de rendre l’archaïsme technique responsable de notre retard : tout le monde en convient, le progrès technique ayant un effet multiplicateur de l’effort humain, et son absence étant synonyme de stagnation et de recul. Mais ce n’est pas sans raison que nous avons raté le train des révolutions scientifiques et techniques du 19ème siècle. Une certaine organisation sociale patricienne et une certaine mentalité routinière peuvent bloquer l’initiation au progrès technique, en rendant celui-ci non désirable : Changer voudra alors dire vaincre les résistances intéressées et non seulement la force d’inertie. En finir avec l’archaïsme social, c’est rompre avec un système suranné appartenant à l’ordre normal des choses. En finir avec l'archaïsme mental, c’est rompre avec un mode de pensée étroit et mainteneur de préjugés absurdes et d’attitudes discriminatoires. Leur substituer une mentalité de production et un esprit plus ouvert et plus pratique parce que rationnel, scientifique et technique, sera l’ouvre de l’éducation au sen large. Même notre progressisme ne sera pas doctrinaire mais pragmatique, en visant à assurer l’égalité de chances de façon réaliste, c’est-à-dire en tenant compte des conditions susceptibles de rendre possible l’équité sociale.
4-Mais changer ne signifie pas faire table rase du passé et renoncer à la tradition. Au contraire, voici déjà longtemps que nous préconisons un mariage nécessaire entre la fidélité au passé et la disponibilité à l’innovation, un mariage nécessaire entre le traditionnel dans ce qu’il a de positif et le moderne dans ce qu’il a de progressiste. Par exemple, la modernisation de l’agriculture haïtienne passe par le mariage nécessaire entre le savoir empirique paysan et les connaissances scientifiques agronomiques. Dans un autre domaine, la couverture des besoins de santé de la population passe par le mariage nécessaire entre la « médecine de brousse » comme on dit en Afrique et la médecine universitaire moderne. Nous avons déjà insisté sur la récupération par la recherche scientifique haïtienne de savoir traditionnel de nos médecins-feuilles et de nos hougans pour élargir et accélérer notre capacité de guérir nos malades. A nos yeux, ce mariage nécessaire entre le positif de l’empirisme traditionnel et progressiste de la science moderne s’érige en un véritable principe de notre stratégie de développement, et s’applique aux domaines les plus divers.
5-Ethique du développement : Il y a pour nous une éthique du développement fondée sur des principes moraux incontournables : Respect de la vie, de la liberté et des droits humains, promotion de la personne dans son éminente dignité, justice sociale et solidarité communautaire. Nous avons déjà dit les sources plurielles de l’inspiration qui nous pousse à vouloir associer économie et humanisme.
6-Suprématie de la loi : Empruntons au monde anglo-saxon ce sens profond de la suprématie de la loi (The rule of law) dont un faible écho nous parvient en français sous la forme du principe « La loi est une pour tous » La boussole de notre conduite de gouvernants sera le respect de la loi, dont nous serons justiciables devant les tribunaux à l’égal des gouvernés. On sait que notre définition de la démocratie inscrit à son frontispice « l’état de droit ».
7-Transparence : Notre programme de reconstruction nationale devra s’ériger dans cette transparence que nous attendons vainement depuis si longtemps de nos gouvernants. Hier encore, dans notre « Adresse à la nation » en date du 2 octobre 1986, nous réclamions cette transparence dans la gestion économique et financière comme dans l’action politique. Seule une honnêteté intransigeante dans l’utilisation des derniers publics, l’exemple venant d’en haut naturellement avec nous au pouvoir, vaincra les scepticismes et rétablira la confiance
8-Tolérance dans le pluralisme : Nous refusons toute formule « unanimiste » pour l’organisation et le développement de la société haïtienne. Notre recherche légitime de la cohésion sociale nationale ne saurait en aucun cas succomber à la tentation monocratique dans quelque domaine que ce soit, car la tolérance dans le pluralisme nous paraît le garde-fou contre les exclusivismes de toutes sortes, qu’il s’agisse de la religion ou de la politique ou de la langue. Le succès d’une politique de développement n’est pas dans l’uniformisation de la société, même au nom de l’égalité sociale, mais dans l’aménagement le meilleur d’une coexistence plurielle. Haïti, aussi a une identité plurielle et se nomme diversité, une diversité enrichissante et complémentaire, nécessaire à son épanouissement, et qu’il nous faut donc préserver.
9-L’éclectisme : D’ailleurs, ce sens du pluriel nécessaire et bénéfique nous amènera à pratiquer l’éclectisme de l’abeille qui butine les fleurs les plus divers certes, mais pour nous donner finalement un produit original et merveilleux : le miel.
Ainsi, nous n’hésitons pas à prendre ce qu’il y a de bon dans les expériences les plus variées dont l’humanité nous offre le répertoire différencié et même contrasté. Nous lirons dans ce registre ouvert pour emprunter à des systèmes divers les formules d’inspiration les meilleures, mais le produit sera une politique de développement intégré sous l’égide de la démocratie, du nationalisme et du progressisme ! Nous n’avons jamais considéré l’ouverture sur l’universel comme préjudiciable à la recherche et à l’épanouissement de la spécificité haïtienne et à la préservation de notre identité nationale. Si nous privilégions l’endogène, ce n’est pas pour interdire sa fécondation par l’exogène. Au service de l’intérêt national, nous prendrons notre bien la ou il se trouvera mais à la double condition qu’il soit approprié de manière positive à nos réalités, pour éviter ces greffes qui aboutissent à leur rejet comme corps étranger, et aussi qu’il passe positivement l’examen de l’analyse comparative du coût (politique aussi bien qu’économique) et des bénéfices.
10-Valoriser et privilégier le local de qualité : Ceci dit, nous aurons pour souci de valoriser et de privilégier le local de qualité. Tout ce qui est local et de qualité nous intéresse par priorité, qu’il s’agisse des hommes ou des choses. Ce n’est pas seulement notre légitime faiblesse pour les produits du terroir (zafè lakay) qui nous inspire, mais il s’agit de la dimension de psychologie économique de notre nationalisme. Comment compter d’abord sur nos propres forces si, au départ, nous dévalorisons celles-ci ? L’encouragement préférentiel pour le local de qualité sera un principe moteur de notre politique de développement. Aux problèmes haïtiens il faut apporter une solution haïtienne. Donnons sa chance économique et culturelle à l’haïtianité, en mettant en valeur ce qui est bien de chez nous, à condition qu’il soit bon, bien entendu, mais quitte à l’aider à se bonifier le cas échéant.
11-Localisation de l’éducation : Dans dette perspective, il faudra continuer, à approfondir et à systématiser la localisation de l’éducation en l’associant, d’une part à une recherche à base thématique haïtienne pour faciliter la socialisation de la jeunesse dans un contexte d’enracinement national, et d’autre part au développement autocentré pour mieux préparer la génération de la relève à ses responsabilités futures. A cet égard, en souplesse, il faudra orienter la formation en fonction des besoins du développement national, au lieu d’encourager la production de chômeurs compétents à reconvertir. Par exemple, l’éducation sociale, par les voies institutionnelles classiques comme par le canal de l’utilisation intensive des mass média, visera à développer simultanément dans la population d’une part l’esprit associatif qui sera utile dans les coopératives auxquelles il faut assurer un environnement propice et l’esprit d’entreprise pour inciter à l’initiative privée et créer un climat favorable à l’économie de marché par une meilleure connaissance des règles du jeu de celle-ci.
12-Favoriser les petites et moyennes entreprises : L’action publique devra favoriser les petits et moyennes entreprises non seulement pour la raison objective que dans la compétition pour les marchés ce sont elles qui ont le plus besoin d’être aidées, mais aussi pour la raison de principe qu’elles sont appelées à constituer le fondement d l’économie nationale dans un pays ou la modestie de taille de l’unité de production liée à une bonne localisation stratégique pourrait être un garant de vitalité. Small is beautiful! De son temps, Joseph Châtelain, à la banque, avait fait préparer une liste d’environ 82 entreprises viables qu’une bonne politique de crédit à l’investissement aurait pu faire naître et prospérer, tandis que Garvey Laurent organisait des enquêtes sur le terrain pour préparer les meilleures conditions de fonctionnement aux activités du Bureau de Crédit rural supervisé qu’alors il dirigeait.
13-Associer les communautés haïtiennes de l’extérieur : A la constitution de ces petites et moyennes entreprises, il va falloir de plus en plus associer les Haïtiens de la diaspora c’est à dire des communautés haïtiennes de l’extérieur. Ils ont souvent épargné, et donc pourraient investir et, de plus, ils ont acquis des savoirs et des savoir-faires qu’ils pourraient utiliser dans des « joint ventures » avec des Haïtiens de l’intérieur. Un meilleur effort de compréhension mutuelle, chacun avec ses aspirations ses possibilités et ses intérêts, doit permettre d’établir les bases d’une coopération, réciproquement bénéfique, à l’instar des juifs de l’extérieur vis à vis d’Israël.
14-Aide étrangère : Ceci amène à poser le problème de l’aide étrangère au développement national. Nos principes sont déjà connus à cet égard. Les projets et programmes de coopération étrangère sont les bienvenus car on en a besoin et on en aura encore besoin dans un avenir prévisible, encore que ce devrait être, du moins l’espère-t-on, décroissant à long terme. Ils doivent cependant répondre à des besoins définis par nous, et s’insérer dans un schéma directeur du développement national conçu par nous. Destiné à renforcer l’effort national, ils ne doivent en aucun cas s’y substituer ni créer des conditions qui lui seraient adverses. L’esprit de coopération solidaire développé chez les pays donneurs ne doit pas créer un esprit de dépendance assisté chez nous, les bénéficiaires de cette aide.
15-Maisons du Peuple : L’aménagement interne de l’espace de développement devant assurer une couverture de services sur tout le territoire national, il faudra d’une part répartir les antennes fixes et polyvalents de prestations de services. Nous nous proposons de couvrir le pays d’un réseau de « Maisons du Peuple » qui seront à la fois un lieu de performances locales d’une équipe polyvalente (médecins et auxiliaires médicaux, agronomes ou agent agricoles, ingénieurs, enseignants, sociologues etc.) à tour de rôle et/ou simultanément, un lieu de formation sociale et d’éducation communautaire, un forum pour débattre des affaires de la communauté, un foyer culturel et artisanal pour une politique de loisir, un centre de formation avec équipement collectif pour les mass-médias (radio, télévision). On peut même y adjoindre, en programme d’urgence, des cantines populaires, en cas de nécessité. La « Maison du Peuple » sera un élément saillant du faciès local, un point nodal du développement et le pôle utile, actif, vivant de la communauté.
16-Unité de prestation de services : En vertu du même principe d’assurer une couverture de services sur tout le territoire national, il faudra d’autre part une mobilité des unités de prestation de services pour amener ceux-ci aux usagers. Il s’agira d’antennes mobiles et spécialisées de prestation de services (cabinets dentaires ambulants, cliniques ambulantes, théâtres ambulants, bibliothèques ambulants, modules ambulants d’ophtalmologie, et même des caravanes de petite chirurgie aménagées et équipées à cette fin). Les visites périodiques de ces unités mobiles de prestations de services organisent et facilitent l’accessibilité de ceux-ci à une population rurale dispersée aux besoins non satisfaits de manière permanente et fixe.
17-A espace différencié, une stratégie différentielle : D’ailleurs, les problèmes ne se posent pas dans les mêmes termes dans tout le pays. Par exemple, la question agraire se pose ici en termes de micro-propriété dominante, là-bas en termes de moyenne ou même de grande propriété relative. Ni l’exploitation qui révèle ici un statut de fermier et métayer, la celui de propriétaire exploitant, là-bas celui d’ouvrier agricole. Le traitement des problemes ne saurait donc être uniforme sur toute l’étendue du territoire national. Aussi, l’un des principes du R.D.N.P. est-il le suivant : « A espace différencié, une stratégie différentielle ».
18-L’option régionale : Le retour à l’idée de diversités naturelles dans une Haïti plurielle à traiter avec une stratégie différentielle à amener le RDNP à faire l’option régionale comme solution décentralisatrice dans notre programme de reconstruction national. L’idée de région est, en effet, pour nous associée à la renaissance de la province et des campagnes car, après être un produit de la géohistoire, la région est une collectivité territoriale à finalité économique et doit devenir un instrument autonome de délibération et de choix. L’approche de la problématique du développement en sera facilitée d’une double façon. D’une part une stratégie différentielle est mieux à même de reconnaître, de respecter et de favoriser les vocations régionales. Telle région, en effet, peut avoir une vocation dominante (mais non exclusive) pour l’agriculture vivrière et fruitière, telle autre pour le tourisme, telle autre pour l’élevage etc. C’est la que se révèle la pertinence des postulats régionalistes et que l’option régionale correspond à une politique prospective, avec une planification à l’échelle régionale comportant un transfert de ressources et un développement des entreprises de production et organisant un contexte privilégié pour la mise en œuvre d’une nouvelle gestion publique au niveau régional. D’autre part, l’aménagement du territoire, en organisant les réseaux et les flux en fonction de régions multifonctionnelles, structurera celle-ci à partir de pôles de croissance à rayonnement régional. Unipolaire ou multipolaire, la région polarisée servira de support macro-économique à la décentralisation conçue comme démocratisation de l’espace national. L’option régionale du RDNP constitue ainsi un renouvellement de la problématique démocratique chez nous.
19-L’entretien et la conservation des acquis et des réalisations : Compte tenu de l’expérience concrète, l’entretien et la conservation –ce que les Américains appellent « maintenance »- ne sont généralement pas notre point fort. Or, il n’y a pas d’approche, encore moins de stratégie de développement sans l’entretien et la conservation des acquis et des réalisations. On a refait trois fois la route de Port-au-Prince Cap, d’Estimé à Jean-Claude Duvalier ! Maints monuments historiques sont menacés de disparition faute d’entretien. L’idée de la nécessité de la conservation du patrimoine national n’effleure l’esprit que de quelques-uns uns. Il s’agit pour nous de créer un Service National d’Entretien et de Conservation du Patrimoine National qui comportera des divisions spécialisées (routes, parc, automobile, bâtiments, équipement lourd, monuments historiques et artistiques, parcs naturels nationaux) et une implantation régionale de coordination.
20-La Démocratie participative : La chance haïtienne d’une révolution pacifique bénéfique est à saisir. C’en est le moment ! Mais pour cela, il nous faut un gouvernement et des gouvernants capables de rassembler et de mobiliser les énergies nationales. Entreprendre cette pour un groupe, un clan, une classe une région ? NON. Pour Haïti tout entière et pour son peuple sans exclusive ? OUI. A cet égard, se révèle toute l’importance de la démocratie participative comme support de la motivation collective et de la conscientisation massive pour le développement. Les deux types de projets que nous avons préconisés depuis des années sont des exemples éloquents à cet égard. Il s’agit d’une part d’un Service National d’un an au service du pays profond par ceux qui au niveau de la 3eme, auront choisi la filière courte de préparation a la vie professionnelle, ils seront appelés pour ce Service National d’un an au service de la paysannerie. Le Service National aura une durée de deux ans pour ceux qui auront opté pour une formation universitaire et en auront achevé le cycle. Il sera d’un an et demi pour ceux qui ne vont pas au-delà du baccalauréat. Il s’agit d’autre part de l’appel à la participation à des campagnes massives pour un objectif de bien commun difficile ou trop long à atteindre par les voies normales : campagne d’alphabétisation, campagne de reboisement.
21-Le bonheur comme objectif : Dans tout ceci, il ne faut jamais perdre de vue que, raisonnablement, l’objectif d’une politique haïtienne de développement ne saurait être des records statistiques de niveau de vie. Il est vraisemblable qu’il ne nous est ni possible, ni désirable d’atteindre la richesse de pays comme les Etats-Unis, la Suisse, la Suède, encore que les cas d’Israël et de Taiwan puissent prêter à réflexion. Par contre, il est certain qu’avec un niveau de vie plus modeste mais décent, le bonheur comme objectif peut être accessible aux Haïtiens. En effet, cette poursuite légitime du bonheur, aujourd’hui objectif constitutionnel, peut tout aussi bien être un objectif de développement, à condition de ne pas laisser la stratégie de ce développement aux seuls économistes.