Leslie Manigat, le dernier échantillon ?

  • Publication : vendredi 25 juillet 2014 17:46

Les générations du XIXe et du XXe siècle.

Nous sommes un pays « d’échantillon ». Ce constat est de Leslie Manigat lui-même. Il y a de ces femmes et de ces hommes qui se projettent sur la scène sociale et politique de notre pays que les historiens campent comme les références suprêmes. Le XIXe. siècle haïtien a été prolifique en personnalités du monde des lettres et de la politique dont les noms de Louis_Joseph Janvier, d’Anténor Firmin, de Démesvar Delorme, Dantès Bellegarde, Pauléus Sanon et bien d’autres, sont parvenus jusqu’à nous.

Le XXe siècle a projeté sur la scène d’immenses personnalités des lettres haïtiennes et de la politique. La plupart constituent les bonnes références en poésie et en littérature. Joseph Jolibois Fils, Jean-Price Mars, Georges Sylvain entre autres. D’autres à peine sortis du pantalon court, prendront une part active à la vie politique dans les évènements de 1946. L’un des noms les plus marquants de cette génération, Roger Dorsainvil. Les multiples personnalités en lettres et en politique au cours de cette dernière période nous tirent de la logique de l’échantillon selon le concept développé par Lesly François Manigat. D’ailleurs, les acteurs de 46 et ceux qui ont alimenté les différents courants littéraires de ces années-là sont de la même génération que l’illustre écrivain, historien, professeur des universités et homme politique. Les générations d’avant et celle de Manigat ont produit une large liste d’écrivains et d’hommes politiques dont l’abondance ne peut aucunement relever de la vision d’échantillonnage. Nous prenons le risque de citer quelques-uns parmi d’autres tout aussi connus. Les grandes figures du Parti National comme du Parti Libéral, Edmond Paul, Boyer Bazelais,  Thoby Armand, Louis Joseph Janvier etc., une belle liste d’écrivains notoires, Frédéric Marcelin, Jean_price Mars, Jacques Roumain, Louis Mercier,  Roussan Camille, Félix Courtois, Carl Brouard, Léon Laleau, Jean Brierre, Émile Roumer, Lydia Jeanty, Yvonne Hakim Rimpel, Jacques Stephen Alexis, de jeunes et moins jeunes politiciens, entre autres, Théodore Baker, Émile Saint-Lot, Thomas Désulmé, d’autres écrivains et hommes politiques d’une nouvelle génération, Dumarsais Estimé, René Piquion, Ulysse Pierre-Louis, Marie-Carmelle Lafontant, Roger Gaillard, Odette Roy Fombrun, Gérard de Catalogne, Jean Magloire, Lorimer Denis, Gérald Bloncourt, Jean Métellus, Émile Ollivier, Dieudonné Fardin par ses écrits et sa revue Le Petit Samedi Soir, Aubelin Jolicoeur, Claude Moïse, Gérard Pierre-Charles, Frankétienne,Théodore Beaubrun, Maurice Sixto, François Latour, Hervé Denis, Syto Cavé, Arnold Antonin, Raoul Peck d’autres figures comme Carl Lévêque, Michel Hector, Cary Hector, Hérard Jadotte, Anthony Barbier et les contributeurs nombreux des revues littéraires et politiques de la diaspora, pour ne citer que ceux-là, sont des noms qui nous sont parvenus, par leurs œuvres, leur implication dans la vie politique dans le tumulte des événements qui ont traversé notre pays de 1946 à nos jours. La transition démocratique a révélé également des noms et des figures de proue, Gérard Gourgue, Marc Bazin, Sylvio C. Claude, Grégoire Eugène, Hubert de Ronceray Georges Anglade, Serge Gilles, René Théodore, Suzy Castor, Jean-Claude Bajeux, Ertha Pascal Trouillot, Marie-Michelle Rey, Jean Dominique, Liliane Pierre-Paul, Myrlande Manigat, Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, Victor Benoît, Evans Paul, Sylvie Bajeux,Turneb Delpé, Louis Eugène Attis, Louis Déjoie II, Claudette Werleigh, Michelle Pierre-Louis et dans les rangs des prolifiques organisations nées au cours de cette période, des activistes, acteurs et contributeurs de grande valeur qui se sont illustrés par leur dévotion, leur talent et courage. Marie Yolène Gilles, Colette Lespinasse, les avant-gardes du mouvement féministe et la relève, Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, Magalie Marcelin, Danielle Magloire, Myriam Merlet, Anne-Marie Coriolan, Marie-Frantz Joachim, Olga Benoit, Carole Jacob, Myrlène Joanis, Yolette Jeanty, Lisa François entre autres, toutes ces femmes leaders infatigables, disparues et vivantes qui ont donné et qui continuent à donner corps et âme à ce mouvement qui a contribué à changer le regard de notre société sur le rôle des femmes. La liste est trop longue pour citer tout le monde, sans courir le risque de faire de regrettables omissions. Nous ne faisons pas l’économie d’illustres figures qui ont siégé dans nos institutions comme le CEP provisoire, le Conseil d’État, le Conseil des Sages et qui, pour la plupart ont imposé un grand respect et qui ont bien mérité de la patrie. 

 

Fissure  dans les murs aux aureilles…

La censure et l’exil forcé pendant la dictature duvaliérienne n’ont pas su taire les noms d’immenses figures qui se sont illustrées dans différents domaines dans notre pays avant le début du régime du 22 octobre 1957 et avant les départs massifs d’opposants, d’intellectuels et de professionnels qui s’éparpilleront sur les terres africaines, européennes, nord-américaines, caribéennes et latino-américaines. 

Le nom de Leslie Manigat nous est parvenu à cause de ses antécédents dans l’enseignement universitaire et de son empreinte sur notre diplomatie. Les échos de ses succès à l’étranger au cours d’une longue pérégrination à travers la France, les Etats-Unis, le Venezuela et la Caraïbe orientale où il promenait son érudition, ont percé les murs de la censure pour être chuchotés à nos oreilles… La création de son parti Le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP) sera une belle contribution à l’institutionnalisation de la vie de partis dans nos habitudes. Leslie Manigat fait partie d’une race d’Haïtiens poussés par l’amour de la patrie et une vision nationaliste du pays. Ici les comparaisons renvoient à Anténor Firmin ou à Rosalvo Bobo difficilement acceptables par les alliés internationaux qui préféraient des interlocuteurs moins cultivés et plus souples, prêts à collaborer…

 

L’intellectuel au service de l'homme politique …

Leslie Manigat est un personnage mythique, une figure multidimensionnelle. Autant on pouvait combattre l’homme politique pour ses choix opportunistes, autant l’on ne pouvait que respecter le savant, l’immense intellectuel. Et, en définitive, l’intellectuel, prenant le dessus, réconcilie tout le monde avec l’homme politique que l’on ne voulait pas endosser. En évoquant cet aspect du personnage qui divisait, d’aucuns diront, qu’il était incompris.

La « percée louverturienne » de Leslie Manigat après l’avortement des élections du 29 novembre 1987 dans le sang des votants a débouché sur un court exercice du pouvoir de mois de cinq mois. L’indifférence du grand public et de l’opinion quant à cette expérience vient du momentum. Nous sommes à moins de deux mois d’une commotion sociale, la frustration des élections du 29 novembre 1987 dans le sang des votants, le renvoi du CEP et une réaction musclée du CNG que l’on regarde désormais comme une sorte d’ogre. L’émotion suscitée par le massacre des votants à la ruelle Vaillant et ailleurs est encore vive. Et le rejet de la majorité de la classe politique de nouvelles élections bâclées est vu comme la réponse appropriée. La perception que l’on a du personnage Manigat devait le placer, selon l’opinion publique, dans le camp du refus. Sa participation au 17 janvier 1988 est vécue comme une rupture. Mais l’on oublie souvent que Manigat n’y est pas allé tout seul, qu'il y eut d’autres candidats, Grégoire Eugène, Hubert de Ronceray, Gérard Philippe Auguste. C’est à se demander si on aurait été aussi sévère avec l’un de ces trois autres si le choix des militaires ne s’était pas porté de préférence sur Manigat. Mais Manigat est ce qu’il est et l’on s’attendait à ce que le personnage soit conforme à sa dimension de mythe. 

Est-ce parce que notre société avait placé Leslie Manigat sur un piédestal que la rupture avec lui a été aussi brutale et sa réconciliation avec le Professeur, difficile ? Ne pouvons-nous pas parler d’indigestion d’un fait, d’un acte ? Et Manigat de recourir à tout son savoir et savoir-faire pour évoquer au fur et à mesure, ce qu’il appelait, « une dynamique d’acceptation », suivant le rejet de son accession au pouvoir dans les conditions réprouvées. En allant dans les bras de l’armée, Leslie Manigat a tué le mythe, son mythe.

 

De la rupture à l'impasse…

Les quatre mois et treize jours au cours desquels il a exercé le pouvoir ont cependant marqué une rupture  avec la façon de faire la politique en Haïti. Qu’on ait combattu ou pas cette expérience au nom des principes qui ont été violés, force est de reconnaître que les signaux étaient différents. Cela fait longtemps que l’on était sorti du pouvoir-prestige, du pouvoir-service. Aucune présomption de corruption, aucun acte autoritaire ou d’abus de pouvoir. Manigat imposait un nouveau style qui n’a pas manqué de déranger les tenants du système, ceux qui étaient habitués aux avantages, à l’évasion fiscale et autres combines pour priver l’État de ses ressources. Et priver les figures du pouvoir traditionnel haïtien de l’accès au pouvoir, au chef, pour tirer des avantages personnels, est une menace directe à la survie du système. S'écartant la logique du parrainage et du contact qui ouvre toutes les portes à cause d’un Président que l’on ne peut faire chanter sur aucun ton et pour quelques justifications ou ristournes que ce soit, Manigat dérangeait et faisait peur. Une mauvaise évaluation des forces en présence et une surestimation de la capacité d’un allié aux oreilles percées, (ki gen zanno kay òfèv) et aux pieds d’argile, un empressement à mettre au pas l’Etat-major et les officiers des FAD’H ont débouché tout droit sur lecoup d’État de la nuit du 19 juin 1988…

La percée s’est terminée dans l’impasse…Et au regard du reste de la transition et surtout des dérives qui nous ont ramené le Blanc, au grand dam du nationaliste à la Manigat, l’on se met après coup et quand il était trop tard, à regretter pour le pays, que cette expérience de pouvoir n’ait pas pu s’étaler sur un mandat entier… Il va sans dire que l’histoire de la transition démocratique aurait eu une toute autre allure, loin de l’instabilité chronique qui la caractérise et surtout loin de l’offense au nationalisme haïtien, aux valeurs de la souveraineté, nationale que la génération de Manigat avait sucés à la mamelle. 

 

Le nationaliste…

Ladite génération est née sous l’occupation américaine (1915-1934) et en 1930, Leslie Manigat est né en pleine lutte d’une classe politique qui combattait l’occupation avec, à la fin de cette expérience marquante, la présence au Sénat de la République, d’un groupe de palemantaires qui seront bannis à cause de leur opposition à Sténio Vincent. Ce dernier venait de se faire faire une Constitution sur mesure, celle de 1935, avec des traits clairs d’autoritarisme. Les deux autres pouvoirs sont des auxiliaires de l’Exécutif et Vincent, par décret, s’octroyait les pleins pouvoirs. Ils s’appelaient Jean-Price Mars, Seymour Pradel, Léon Nau, Pierre Hudicourt, Justin Latortue, Fouchard Martineau, Antoine Télémaque, Hector Paultre, Valencourt Pasquet, Rameau Loubeau, David Jeannot .

Leslie Manigat est parti sans avoir vu à l’horizon l’Haïti rêvée par ses ancêtres, ni par de nombreuses générations de passionnés d’Haïti comme lui et qui ont payé cher cet amour de la patrie. Emprisonnements, assassinats, guerres civiles, bannissements, exils, disparitions etc. Il a vécu assez longtemps pour être témoin d’une évolution à contre-courant de notre pays en référence aux valeurs cardinales de souveraineté et d’autonomie selon le modèle de 1804. Il a vécu dans le contexte, la préférence d’Haïti pour le leader parachuté, le leader charismatique au lieu de faire l’expérience du pouvoir politique à travers l’alternance de partis politiques impliqués dans la vie politique et qui impriment à celle-ci rythme et cadence. Il a assisté à la dégringolade et à la crise contemporaine où les partis, au lieu d’être les principaux acteurs, n’ont quasiment aucun impact sur les décisions et observent de loin la prise en charge du pays mal gouverné par des amateurs que rien ne prédestinait à la direction de l’État.

La Génération de Manigat a largement contribué à construire l’espace démocratique duquel d’aucuns veulent bousculer les multiples contributeurs à qui on reproche de n’avoir rien donné au pays. Mais les actuels acquis démocratiques sont un apport de toutes celles-là et de tous ceux-là qui, par leur engagement, ont fait le travail ingrat de diffuser de nouvelles valeurs prises à bras-le-corps par une société qui entend être dirigée autrement.

 

L’après Manigat, la relève?

Haïti après Manigat ? Dans l’étal actuel de notre pays, il existe une génération de la relève qui anime la vie démocratique haïtienne et qui le fait à son corps défendant, comme un sacerdoce. Dans la débâcle d’Haïti, il y a ce qu’Hervé Y. Denis appelait des « îlots » de bonheur. A la vérité, Hervé Denis parlait « d’îlots de développement ». Nous faisons ici référence aux petits succès que notre pays enregistre sur certains terrains où la compétition ne fait pas de cadeau. Dans l’espace francophone, Haïti est une puissance littéraire, nos écrivains y brillent et sont souvent à l’honneur, ils raflent les prix et distinctions. Le cinéma haïtien également avec des films d’Arnold Antonin, de Raoul Peck ou des documentaires de Rachelle Magloire et compagnie sont régulièrement primés dans les grands espaces internationaux, nos artistes, notre peinture savent nous donner de grands moments de fierté. Dany Laferrière a un siège d’Immortel à l’Académie française, certains de nos écrivains sont traduits en plusieurs langues et leurs œuvres diffusées largement, de ce fait. Michaelle Jean a eu un mandat de gouverneure générale du Canada, Samuel Pierre brille également comme scientifique dans ce pays. Laenec Hurbon siège au CNRS en France. Il y a de multiples autres exemples de réussites individuelles qui rejaillissent sur Haïti qui est devenu le paria de la Caraïbe…Ici, Leslie Manigat aurait raison d’illustrer sa théorie d’échantillon.

 

Tirons les leçons de nos luttes sans grandeur…

La transition démocratique a été assez longue pour que nous voyions, malheureusement assez souvent, la chose et son contraire. Passion et division sont les maîtres-mots qui ont dominé notre espace. Passion nous divisant en deux camps, les macoutes et les démocrates, les lavalassiens et les putschistes, « la grande famille du 30 septembre » et les « constitutionnalistes » partisans du retour à l’ordre démocratique, les « chimè » et les « gnbistes », la Convergence démocratique et les titidistes, aujourd’hui les « tèt kale » et le MOPOD. Sur la cour des frères de Saint-Louis de Gonzague, tout ce monde-là se côtoyait. Jean-Claude Duvalier, (au grand dam du comité du devoir de mémoire), le Général-Président Prosper Avril, l’ex-Président provisoire Boniface Alexandre, le Général Williams Régala Membre du CNG, l’ex-Premier ministre Jean-Max Bellerive, l’ex-Premier ministre Jacques-Edouard Alexis entre autres, Evans Paul et de nombreux visages du secteur démocratique haïtien sont venus rendre un dernier hommage à Leslie François Manigat couché comme un sphinx dans son cercueil. Disons en passant que rare dépouille mortelle n’a eu autant de majesté, d’aucuns diraient que le cadavre était hautain. 

 

L’Haïti des funérailles …

Le défilé autour du cercueil de l’ancien Président est typique de cette Haïti qui nous fascine personnellement, l’Haïti des funérailles. Vous savez que c’est le seul moment d’unité nationale en Haïti ? Aux funérailles, nous observons une société haïtienne qui circule dans l’enceinte limitée des parloirs funèbres, des églises et des parcs de cimetières privés. Cette société haïtienne idéale où tout le monde se donne l’accolade fraternelle sans aucun préjugé de catégorisation politique, elle ne dépasse  malheureusement pas les parvis des églises où sont chantées ces funérailles. Aux pires moments de division de la nation, pendant le coup d’État du 30 septembre où des frères et sœurs ne s’adressaient plus la parole parce que chacun dans un camp opposé, pendant l’époque troublée du 21 mai 2000 au 29 février 2004 où la polarisation était à l’extrême, les acteurs qui menaient la guerre de tranchées dans les médias et sur le terrain politique étaient devenus des sœurs ou des frères affligés par le deuil du moment. Une fois franchie l’enceinte du lieu de célébration des funérailles, les antagonismes recommencent à s’exprimer de façon tellement inconciliable que c’est la communauté internationale qui intervient pour s’interposer comme arbitre. Sommes-nous sérieux ? Manigat aurait lancé son historique « soyons sérieux ! » Nous aurions plus de respect pour la mort que pour la vie, selon Max Chauvet. Le culte de la mort est ce qu’il est chez nous, bien enraciné en nous tous.

 

Le message de Manigat ?

Quel pourrait être le message à chercher à décortiquer dans tout cela ? La transition démocratique a été un terrain miné par la division. Mais ce qui nous divise réellement est-il plus fort que ce qui aurait dû nous unir ? Le Colonel Jean-Thomas Cyprien, notre ami, cité ailleurs pour la même théorie, celle du « match nul » avait bien compris que les Haïtiens sont égaux dans l’exercice du pouvoir. Et la transition démocratique avec ses multiples expériences doit nous conforter dans cette assertion. D’un groupe à l’autre, il y a, à quelques variantes et exceptions près, la même expression du pouvoir, dans la jouissance du pouvoir, dans l’expression de l’autorité et l’autoritarisme et ses formes malsaines.

Nous avons là un constat qui aurait dû plus souvent nous ramener à la raison. Puisque nous serions égaux dans la manipulation du pouvoir, ne devrions-nous pas comprendre la nécessité de nous entendre pour corriger ce qui doit l’être et affiner ensemble le produit qui nous divise au premier chef, le pouvoir et son usage ? Avions-nous besoin de l’arbitrage du « Blanc » pour nous parler ? Des fois, nous avions besoin d’aller jusqu’en Suède pour que les acteurs antagoniques de la crise haïtienne s’asseye autour de la même table. A Governor’s Island, en août 1993, pendant la crise su coup d’État du 30 septembre 91, Aristide ne pouvait pas discuter directement avec Cédras, il a fallu Dante Caputo pour rapporter à l’un et à l’autre, les exigences des deux bords. Et Marc Bazin, déplorant le fait, étiquetait cette réalité par l’expression « diplomatie de la navette ». Avions-nous besoin d’affaiblir ainsi notre pays et de le sortir de la logique de 1804 où souveraineté et autodétermination sont les piliers fondamentaux sur lesquels nous devions consolider la nation ?

 

Institutionnalisation ou continuité dans la dépendence 

Cette consolidation passe par l’institutionnalisation de la vie politique autour de grands partis politiques. Nous devons sortir de la logique d’affaiblissement des partis par l’existence de plus de deux cents « particules » comme, Bazin les appelait déjà, vers le début de la décennie 90. Les organisations de même tendance devront fusionner sur le modèle de la bien nommée Fusion des sociaux-démocrates, qui, malheureusement, ne s’était pas étendu à d’autres regroupements politiques, l’OPL, le KID, selon les prétentions du projet initial. Nous ne sortirons pas de la logique du leader populiste charismatique si nous ne pouvons pas donner au pays des partis solides à représentativité nationale, déterminants lors des consultations électorales. L’actuelle situation de l’occupation de l’espace du pouvoir par des néophytes qui sont les premiers à en être étonnés, résulte de la faiblesse de nos partis politiques qui n’ont aucune capacité de convocation ce qui est préjudiciable à la nation emballée dans des crises récurrentes qui traînent en longueur, faute de solutions imposées par l’impact des force politiques. Le vide étant, c’est le Président de la République, capricieux, qui donne le ton, aidé en cela par le culte de la présidence en bonne santé dans l’espace haïtien.

Les funérailles de Leslie Manigat nous ont envoyé un message. Et quand le message part d’un acteur politique qui a eu sa part de rejet et de controverse au nom de la division, situation qui n’arrête pas de mettre en danger l’existence même d’Haïti, nous pensons urgente une analyse appropriée par ceux qui doivent travailler à la survie de la nation pour la sortir de l’impasse de l’assistance internationale, pour la Patrie et pour nos Pères. 

 

Centenaire de l'occupation américaine d'Haïti…

L’année 2015 ramènera le centième anniversaire de l’occupation américaine d’Haïti pendant dix-neuf trop longues années. Nous vivons depuis dans le moule de cette infamie. N’ayant tiré aucune leçon, les Américains sont retournés le 19 septembre 1994, soixante années après leur départ. Dix ans plus tard, ils ont dirigé une force multinationale qui a pris le contrôle aux premiers jours de mars 2004 et depuis juin 2004, les Nations-Unies ont pris la relève, ils y sont depuis dix pénibles années. Leur présence ne nous empêche pas de continuer avec l’inconscience de la division. Les subirons-nous, à cause de notre aveuglement et de nos inconséquences pendant les dix prochaines années ? Il est grand temps de nous réveiller dans l’amour de la patrie et dans la fierté nationaliste pour œuvrer ensemble à la récupération de notre souveraineté en nous laissant guider par les luttes que la génération des Price Mars avait menées à la naissance de Manigat, en 1930, contre l’occupation de notre territoire. Pour le Pays, pour les Ancêtres, marchons unis…

 

Hérold Jean-François