Un été avec les Manigat

  • Publication : mardi 8 juillet 2014 17:34

C’était en été 2000 au cours de droit constitutionnel, à l’Université Quisquéya, de la professeure Mirlande Manigat, que nous appelions Mme Manigat, qu'elle nous avait raconté l’histoire que j’avais entendue à plusieurs reprises  dans certains milieux. Leslie qui vivait depuis quelque temps en exil, disait-elle, rencontrait quelques amis dans un restaurant pour deviser. La conversation se déroulait tranquillement. On en vint naturellement à parler de politique d’Haïti. À un moment, il prononça le nom de François Duvalier pour ouvrir le débat sur la situation politique qui sévit en Haïti. Soudain, l’un de ses amis, les yeux exorbités, tira son fauteuil : « Messieurs, je ne suis pas avec vous. Evitez le nom de cet homme. Malheur pourrait vous arriver. Il est partout, il pourrait écouter nos paroles. »

Les étudiants avaient beaucoup ri. Mais Madame Manigat nous fit comprendre que c’était la réalité de l’époque.

Cet homme croyait dans les mythes populaires qui faisaient croire que Duvalier était un esprit qui pouvait traverser les murs et assister à toutes les réunions où se tramaient un complot contre lui.

L’esprit magique, le merveilleux chez le peuple haïtien peut alimenter bien des histoires pour écrire des romans.

 

L'époux préfacier

En cet été 2000  où Mme Manigat venait d’essuyer des déboires aux élections qui ont vu René Préval revenir au pouvoir, notre professeure avait signé, à l’auditorium de l’Uniq, son « Traité de droit constitutionnel haïtien », deux volumes de 800 pages qui font le tour de la matière constitutionnelle sous les angles du droit, de l’histoire et de la sociologie. 

À la mort du professeur Leslie François Manigat, à qui fut échu l’honneur d’être le préfacier de ce TDCH, j’ai relu la préface du volume I. Apprécier ce qu'a écrit l'époux préfacier :

« Aucune œuvre humaine ne peut prétendre à la perfection et, de ce fait, aucune n’est définitive. Celle-ci, en s’offrant à la curiosité intéressée de son public de lecteurs ciblés, a conscience qu’elle ne saurait donc faire exception à la règle, assurément pas. Mais, en y tendant, il y en a certaines qui poursuivent et arrivent à atteindre l’excellence. Qu’on me permette de dire, d’entrée de jeu, que c’est dans cette catégorie que je situe ce Traité de droit constitutionnel haïtien (TDCH) que je prends plaisir à préfacer. Et quand il se trouve que l’auteur me touche d’on ne peut plus près, puisqu’il s’agit de nul autre que mon épouse Mirlande Manigat, née Hyppolite, ma satisfaction n’en est que plus grande, même si j’ai en même temps pleine conscience que ma situation en devient plus délicate, et m’impose une certaine pudeur d’expression que tout lecteur honnête comprendra. » 

Plus loin, il écrit : « … dois-je présenter d’autres lettres de créance pour préfacer cet ouvrage consacré au droit constitutionnel haïtien ? Parce que je me trouve à la fois mari et préfacier, certains vont sans doute vouloir m’en réclamer. »

Et d’ajouter : « S’il n’est donc ni commun ni banal qu’un mari préface un livre de son épouse, on peut toutefois comprendre que Madame Mirlande Manigat et les sponsors universitaires de cette publication l’en aient ainsi voulu. Il se trouve que le fait n’est pas sans précédent chez nous. Cela a ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, n’ai-je pas dit publiquement que, sur la base objective de ses mérites, je suis le premier admirateur de mon épouse ? »

Le professeur Leslie Manigat s’est tiré de si belle manière dans ce préface qu’il devient une pièce, une enluminure dans ce Traité de droit constitutionnel haïtien. Je recommande à tout lecteur de le lire. Ce texte de présentation vaut une visite, il conduit dans ce lieu de prédilection où plane l'esprit du professeur : le livre, source inaltérable de sa joie.

 

Source : Claude Bernard Sérant - lenouvelliste