Une visite chez les Manigat

  • Publication : vendredi 27 juin 2014 15:56

Closerie de palmier. Le grand salon. Sur une petite table, entre livres et magazines, une photo raconte un petit moment de bonheur. Leslie Manigat, affaibli sous le poids des ans, tient avec tendresse un nourrisson dans ses bras. Son petit-fils ? Peut-être. Difficile de poser la question. Pas celle-là. Pas maintenant. Mirlande H. Manigat, écrasée par la douleur, refond en larmes. L’arrivée de visages connus s’accompagne instinctivement d’un besoin de dire, de raconter sa perte. 

Dans ce salon, vitrine de la passion du couple pour l’art, les lettres, un cercle  formé d’amis, de camarades politiques écoute. La fille de Sabine Manigat, Aïlo Klara, quand c’est nécessaire, cherche des mots, caresse le visage d’une Mirlande H. Manigat « dévastée », « effondrée ». La chambre de ses amours est vide. Vide de Leslie. Elle confie ne pas avoir la force d’y revenir depuis ce matin.  « Il est mort dans son sommeil. On a constaté cela à 4 heures du matin », explique Mirlande Manigat, révélant que le chikungunya « a accéléré le départ ».

Ces derniers jours, Leslie Manigat avait une forte fièvre et des convulsions. 83 ans, déjà éprouvé par la maladie et une fracture du col du fémur il y a trois ans, le président Manigat, désarmé, a été emporté par la faucheuse ce 27 juin. Celle qui aurait fêté ses 44 ans de mariage le 5 septembre 2014 révèle que son époux est parti le cœur lourd. « Il était malheureux à cause de la situation du pays au point de ne plus lire les journaux, ni d’écouter les infos à la radio », raconte Mirlande H. Manigat. Leslie, comme Moïse, a été mangé par le « regret de ne pas voir le début du pays qu’il souhaite », a-t-elle révélé, avant de multiplier des anecdotes, autant de coups de projecteur sur son mari, pour chasser la pénombre de caractère peu flatteur collés à ce surdoué égocentrique. « Leslie n’était pas homme à dire "j’exige", "j’ordonne". Il était d’une grande souplesse », dit de lui sa femme.

Il faisait souvent des compliments aux femmes. Le Leslie de Mirlande était « féministe à sa manière ». C’est lui qui a créé la secrétairerie d'Etat à la Condition féminine, a revendiqué Mirlande Manigat, assaillie d’appels téléphoniques. Des témoignages de sympathies venus d’ici et d’ailleurs. « Pas de date retenue. Pas encore », dit-elle à quelqu’un de Montréal. Mirlande Manigat attend de concerter avec la famille, les filles de Leslie, dont Béatrice, l’unique enfant de leur union, qui devra rentrer du Togo. Elle aussi, à son retour, découvrira le vide laissé par son père. « Ce mapou qui est tombé et dont les feuilles prendront du temps avant de pourrir », selon Anthony Barbier, qui a rencontré Leslie Manigat pour la première fois à Montréal en 1979.« C’est un homme qui fascinait tout le temps. Même quand on était en désaccord avec lui », dit Barbier de Leslie Manigat, « l’une des plus grandes figures haïtiennes du XXe et du début du XXIe siècle ».

Dans une autre pièce, Carry Hector, un des instigateurs de l’ouvrage collectif « L'histoire comme passion. Mélanges offerts à Leslie F. Manigat », prétexte à l’hommage au professeur de son vivant le 29 mai 2013,  traîne des pas tristes. Face aux caméras, il campe le disparu. Cet ami, mentor qui manque à l’historien Gaétan Mentor, à l’agronome Jean André Victor du MOPOD. « C’est une grande perte pour Haïti », souligne-t-il sur la cour de la résidence des Manigat alors qu’un autre Manigat, Nesmy, actuel ministre de l’Education nationale part avec une des filles de Leslie. Une affaire de caveau à régler. Pour ce cousin germain, « Leslie Manigat appartenait à la nation ».

Ce pays incompris, mal conquis dont l’état est l’objet d’un chagrin traîné jusqu’à la mort par le grand Leslie Manigat…

 

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