Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes …?
14 juillet 2015
Il y a un peu plus de quatre ans, les compatriotes qui m’avaient soutenue dans le combat pour être élue à la Présidence de la République et moi-même, nous avions appris avec stupéfaction, incrédulité et colère que, contrairement à toutes les informations recueillies et confirmées par de sérieux sondages effectués, ce n’est pas moi qui avais été élue, mais mon compétiteur. Les résultats complets, indiquant, comme il est d’usage et comme le commandent les normes, des éléments de calcul et d’appréciation tels que le nombre d’inscrits et de votants, des votes nuls et blancs n’ont pas été rendus disponibles, mais on a eu la trouble élégance, dans la précipitation du complot, de m’accorder le même nombre de voix que j’avais obtenu au premier tour.
Contre l’avis de mes collaborateurs, je n’avais pas contesté ce résultat, car j’estimais inutile d’essayer de changer une décision qu’une coalition entre des forces nationales et internationales avaient rendu telle. Telle elles la voulaient, telle elles l’ont eue. Ce n’est pas sans amertume que, sans accepter ce verdict, j’ai gardé le silence et, dans la discrétion de mes réflexions, j’ai estimé que je pouvais servir ma patrie sans être Présidente de la République.
Je savais que ces résultats annoncés avec une indécente fanfare de satisfaction aveugle et sourde étaient faux. J’étais tenue au courant des équipées nocturnes du Président du CEP au Centre de tabulation, mais je ne pouvais pas anticiper qu’une ultime visite qui a échappé à la vigilance d’observateurs indépendants, scellerait finalement l’issue du scrutin. Je l’ai su le matin même, mais déjà les jeux étaient faits, le champagne chambré, les lampions allumés et la danse des satisfaits entamée, même avec malaise chez certains. Ce tintamarre a étouffé les protestations car il y eut tout de même des patriotes pour refuser d’accepter cette évidente iniquité. Mais d’autres se sont empressés d’aller à la soupe rapidement mijotée par le nouveau pouvoir.
Pendant quatre ans, j’ai assumé sérieusement mes responsabilités d’enseignante et de Secrétaire Générale de mon parti, le RDNP. Ces occupations ont représenté une espèce de catharsis qui m’a fortifiée. J’ai réussi, non sans peine, à ravaler mon amertume, transformant d’ailleurs ce sentiment normal en une sereine lucidité et à travers un comportement en accord avec mes principes. Entre-temps, j’avais accumulé des témoignages qui confirmaient ce que nous savions déjà, que les résultats représentaient une véritable arnaque effectuée non seulement contre moi, mais contre la démocratie et l’état de droit.
J’ai personnellement entendu comme bien de compatriotes, les aveux de Monsieur Pierre Louis Opont admettant publiquement, sur une station de radio, que les résultats qu’il avait réunis et soumis il y a quatre ans n’étaient pas ceux qui avaient été publiés. A la question du journaliste qui a cherché à savoir pourquoi, à ce moment là il n’avait pas protesté, au nom de la vérité, il a répondu qu’il était un fonctionnaire public à l’époque et donc soumis à un étrange devoir de réserve, qu’il craignait qu’un résultat contraire mais correspondant à la vérité des urnes, pût entraîner des troubles violents. Et poussant l’outrecuidance, il a poursuivi, à la manière de Ponce Pilate, qu’il y avait une sorte de consensus entre le perdant et le gagnant ! Je ne sais ce qui m’a le plus renversée, l’aveu ou ce mensonge éhonté relatif à une quelconque entente entre compétiteurs. Comme quoi, j’aurais à l’avance accepté la défaite moyennant, sans doute dans son esprit, quelque compensation. C’est ajouter la calomnie au mensonge.
On m’a conseillé de réagir par la loi, comme c’est mon droit, de l’attaquer en diffamation, au mieux, d’engager une sommation pour exiger au moins la notification écrite de ces résultats falsifiés. Je dois dire que j’ai été tentée de le faire, pour la vérité et pour l’histoire, mais j’y ai renoncé, non par faiblesse car tous ceux qui me connaissent savent que je ne manque ni de courage ni de calme combativité, mais par une espèce de lassitude attristée non quant à l’issue d’une action judiciaire, mais à son inanité. Dans n’importe quel pays normal, et je ne pense pas seulement aux grandes puissances, mais par exemple, à nos voisins de la Caraïbe anglaise, ce Monsieur ne devrait pas se trouver actuellement à la tête du CEP et, de toute façon, après une telle déclaration, l’action publique aurait dû être mise en mouvement avec, comme conséquence, l’annulation purement et simplement des résultats publiés avec toutes leurs conséquences, sur la base des preuves imparables qu’il devrait fournir à une instance judiciaire.
Ma froide réaction devant la confirmation de ce que je savais déjà est le renforcement de ma lucidité en ce qui concerne le délabrement moral de notre pays. Il n’y a pas de nom pour qualifier un tel acte. Mais je voudrais demander à Monsieur Opont pourquoi il a décidé de dévoiler ce secret de polichinelle au lieu de l’emporter avec lui dans un au-delà que je lui souhaite rédempteur ? Je n’ose croire que c’est pour m’accorder une espèce de réparation morale rétrospective dont je n’ai guère besoin, à moins que ce ne soit l’effet d’un remords après coup ? En tout état de cause, mes principes ne me portent pas à tirer une quelconque satisfaction de cet aveu qui ne comportait d’ailleurs pas des accents de contrition. Une étrange banalité, comme une information sans conséquence.
Mais je m’adresse à tous ceux qui sont engagés, malgré tout, pour le meilleur et pour le pire, dans la compétition électorale à tous les niveaux, qui ressemble bien à "une chronique d’une mascarade annoncée".
Vous avez déjà constaté combien le CEP actuel se comporte avec un incroyable manque de sérieux et de professionnalisme dans la gestion des candidatures. Prenez garde : vous lui faites confiance si j’en crois des déclarations bien imprudentes. Tachez de prendre toutes sortes de précautions et il faudrait que celles-ci soient cohérentes et surtout coordonnées, car il n’est pas sûr que les résultats qu’on enfournera éventuellement dans votre conscience seront les vrais, authentiques et inattaquables.
Au moins, que la déclaration de Monsieur Pierre Louis Opont serve de leçon à la collectivité en général et aux candidats en particulier.
Mirlande Manigat
14 juillet 2015