Mort, Leslie F Manigat rassemble

  • Publication : lundi 7 juillet 2014 17:13

5 juillet 2014. St-Louis de Gonzague, 7heures 39. Une ligne silencieuse s’étire. Au bout, entre deux tentes séparant la famille et les officiels, une bière drapée aux couleurs nationales. Dedans, l’ex-président Leslie F. Manigat, décédé le 27 juin. Costume crème, cravate bleu marine, l’imposant Manigat, 83 ans, réduit par la maladie, est rendu au pays. Pour une dernière fois. Pour une dernière tour de piste. Cette fatalité, comprise, est acceptée avec peine par les siens. A deux mètres de lui, sa femme, Mirlande Manigat, ses filles, son frère… ont la mine effondrée. Sur leurs cœurs endoloris on dépose, par vagues successives, des mots de sympathie. 

D’anciens chefs d’Etat, Jean-Claude Duvalier, Prosper Avril, Boniface Alexandre, d’anciens Premiers ministres,  des universitaires, des gens ordinaires, d’anciens militaires comme le général Williams Régala sont là. Certains l’ont combattu, envoyé en exil, réclamé son scalpe, condamné à mort par contumace. Sabine Manigat n’oublie pas la mort civile de son père prononcée début 70 par les Duvalier. Elle soutient le regard de Jean-Claude Duvalier en refusant de serrer la main qui lui est tendue. L’ex-dictateur était venu « rendre hommage » à Leslie Manigat, « un grand patriote », indique-t-il. 

Le temps. Il file. La matinée mange ses grains de sable. Moins sanguine, la veuve, qui a vécu en première loge les moments de gloire et de déboires de son feu mari, ne règle aucun compte. Peut-être pas maintenant. Peut-être pas ici. « Merci, merci, merci », susurre Mirlande H. Manigat, contrainte, après des centaines de poignées de main, de hocher la tête. Entre des gerbes de fleurs, des photos d’elle avec Leslie, de Leslie avec des jeunes, de Leslie en grande conversation avec une petite fille, campent une partie de la vie de l’homme, veillé par des scouts dans cette école où il a usé pendant treize ans ses fonds de culotte et ses bottines. 

Sur ses terres, chez les frères, Leslie Manigat reçoit, estime Evans Paul, l’hommage du pays qui respecte, célèbre l’« homme de grande valeur ». « La vie de Manigat est un message en faveur de l’engagement, de l’excellence », soutient Evans Paul, chef de parti politique. Plus incisif, l’ex-Premier ministre Jacques Edouard Alexis partage un double regret : le décès du professeur et les « aurait pu » de la présidence éphémère de ce grand intellectuel. « J’ai toujours regretté le départ de Manigat du pouvoir », confie-t-il, avouant avoir misé gros sur les « idées véhiculées et la composition du gouvernement de Manigat ». « Les forces rétrogrades de l’armée, les forces d’argent l’ont renversée du pouvoir », indique Alexis, peu regardant, moins critique envers le professeur pour sa « percée louverturienne », pour avoir accepté le pouvoir après les élections du 29 novembre 1987, noyées dans le sang à la ruelle Vaillant. « Il n’était pas le premier à arriver au pouvoir comme ça. Il voulait le bien du pays. On ne lui a pas donné sa chance », selon Jacques Edouard Alexis. « Leslie Manigat, « pas toujours aimé des Blancs » incarne le patriotisme, la fierté et la dignité nationale, souligne Alexis. 

Eric Jean-Baptiste, homme d’affaires, membre du RDNP, pourfendeur de la MINUSTAH, n’est pas insensible au nationalisme du disparu. Dans le concert des mots, l’ex-président Boniface Alexandre considère Manigat comme « un phare pour la jeunesse ». Il s’est retrouvé dans le démocrate, dans le nationaliste, dans le progressiste qu’a été le défunt. Comme Danielle St-Lot, du PHTK, le sénateur Moïse Jean Charles salut le départ de l’intellectuel. Départ qui arrive, estime Schutlz Simpssie Cazy, à un moment où « la jeunesse est en quête d’inspiration et de modèle ». Cazy, étudiant, chef de la délégation de l’INAGHEI à ces funérailles nationales, pense que la jeunesse doit trouver en Manigat une source d’inspiration pour aller plus loin, pour donner du sens, du contenu aux notions de souveraineté, de civisme. Il y a un héritage Manigat.

Jacky Lumarque, recteur de l’Université Quisqueya, le croit. « L’expérience humaine, c’est le dépérissement du corps, l’épanouissement des idées. La vitalité de Leslie est dans ses idées. L’histoire n’est pas terminée », avance Jacky Lumarque, toujours philosophe. 

Jean Vernet Henri, recteur de l’UEH, rend hommage au professeur. Celui qui a formé des générations, changé l’enseignement de l’histoire. L’UEH, révèle le recteur, décerne à titre posthume à Leslie Manigat le titre de Docteur Honoris causa. D’autres minutes confidences. On dit la même chose ou presque. La voix de Jean Coulange retentit. Les dames de la chorale de St-Pierre prennent place. Après 9heures 30, Lucien Jura, porte-parole du président Michel Joseph Martelly, ouvre la cérémonie, passe la parole au docteur Evans Beaubrun du RDNP, parti fondé par Leslie Manigat. Il salue le « mapou », le « titan », le « surdoué » autour duquel tous sont réunis pour l’ultime hommage, geste considéré comme « l’expression d’un réveil patriotique arrivé trop tard ». Ce réveil patriotique pour une vraie « dézombification » de la population, espère Evans Beaubrun, héritier autoproclamé, avec les RDNPISTES de la vision de Leslie Manigat pour changer les choses en Haïti. La veuve, Mirlande Manigat, ajoute Beaubrun, a le « le terrible devoir de garder cette œuvre ».

Au nom du Parlement,  Dieuseul Simon Desras, président du Sénat de la République, présente ses sympathies.  « Nul n’est resté insensible à la saga de Manigat », explique Desras. Manigat, poursuit-il, était un « personnage exceptionnel », « noble » qui a fait montre « d’exemplarité au service du public ».

Dans la même veine, le chef de l’Etat, Michel Joseph Martelly, se découvre avec « humilité », « respect » devant la dépouille de « l’un des plus brillants fils d’Haïti », un « grand homme », « un modèle en voie de disparition » qui « marque l’histoire d’Haïti même dans sa mort » pour avoir réuni les gens de toutes les tendances politiques à ses funérailles. Ce ralliement inspire Martelly. Le pays a besoin de tous ses enfants, indique le chef de l’Etat. L’unité est le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Leslie Manigat. Ce décès laisse un vide, affirme Martelly avec d’autres mots de condoléances sur les lèvres pour la famille et les membres du RNDP, parti qu’il a combattu lors de la dernière élection présidentielle. Les liens qui unissent les Haïtiens sont plus forts que ceux qui les désunissent, gage Michel Martelly qui laisse à la veuve le soin de parler de et à son mari.

 

Dernier moment d’intimité

Dans son monologue, « ce dernier moment d’intimité » avec Leslie, son Lelius, Mirlande Manigat est dans la tendresse. Ses mots, simples, racontent son mari, l’homme, l’amoureux de la vie qui s’émerveillait devant un coucher de soleil, un bon repas. Cet éclectique, fin connaisseur  de musiques. Du boléro aux classiques comme Mozart. De la musique du terroir. «  Tu aimais la vie mais tu n’avais pas peur de la mort. Et dans les derniers moments, accablé par la maladie, tu implorais Dieu de manière pathétique de mettre fin à ton existence », confie Mirlande Manigat. La fin était difficile pour Leslie qui a voulu que la faucheuse l’emporte, il y a quelques mois, en lieu et place de Guy Alexandre, foudroyé par une crise cardiaque.

Leslie Manigat, l’homme politique, le conducteur d’hommes et de femme, le patriote, le défenseur de l’Etat de droit et de la préservation des vertus républicaines, sont bien rendus par la veuve, consciente que cet homme ne lui appartenait pas à elle. Ce chantre de la démocratie, du nationalisme, de la justice sociale autour duquel se sont rassemblés tout le monde, même ses adversaires politiques. « Ils sont venus, ils sont tous là », dit Mirlande Manigat à son Leslie, fan d'Aznavour, avant de faire ses derniers plans pour l’au-delà, pour ces deux âmes qui se sont rencontrées, se sont aimées, ont travaillé ensemble. Ces âmes qui ont rêvé ensemble pendant cette merveilleuse union de plus de 44 ans, façonnée dans l’unité, le  respect, la correspondance, détaille Mirlande Manigat avant de dire, un sanglot dans la voix : « Je te dis adieu, mon amour et surtout merci ». Cet adieu, à mesure que les minutes passent, renforçait dans ses certitudes. L’extrême onction, la fermeture du cercueil donnent lieu à d’autres effusions de tristesse. La chorale, en entonnant le Psaume de la création, donne des frissons : « Par les cieux devant toi, splendeur et majesté, par l’infiniment grand, l’infiniment petit et par le firmament, ton manteau étoilé et par frère soleil, je veux crier : Mon Dieu, tu es grand, tu es beau, Dieu vivant, Dieu très haut, tu es le Dieu d’amour, mon Dieu, tu es grand, tu es beau, Dieu vivant, Dieu très haut, Dieu présent, en toute création ». Monseigneur Pierre André Dumas, Monseigneur Guyre Poulard officient. Monseigneur Poulard a déjà fait mieux. Mais l’essentiel est dit avant le départ pour le parc du Souvenir, à Torcel. Des hommes du RDNP portent leur leader, le mapou. Mirlande Manigat et Sabine se soutiennent dans l’effroi, pendant la mise en terre du mari, du père…

Source : Roberson Alphonse - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.