Leslie F. Manigat: Une foi ardente en la patrie

Avec Leslie F. Manigat qui vient de mourir, c’est toute une génération qui commence à laisser la scène nationale à un an du centenaire de l’occupation américaine – dans un décor marqué par la présence de forces étrangères sur notre sol. Mais que restera-t-il de lui ? Quel est son testament politique ? Pour avoir fréquenté, lu et apprécié le professeur Manigat, ce nationaliste enflammé,- l’un des tout derniers-,  je suis bien placé pour situer dans le temps - « dans la longue durée», pour employer un terme cher à Fernand Braudel -, l’héritage de vie et d’action du fondateur du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP). 

Deux concepts clés et inter-dépendants ( au yeux de ce prolifique historien – politologue) peuvent résumer cette longue vie académique  et politique ; modernisation et démocratisation. Historiquement, nos échecs lamentables en matière de modernisation ont été l’objet de sa plus sagace attention. En ces temps d’incertitude et de malheurs que vit Haïti, ces tentatives de modernisation sont là pour nous pousser à agir, et non à désespérer.

Toute son œuvre, véritable passion pour une Haïti digne de ses fondateurs héroïques, et toute sa vie, certes dramatique mais exemplaire, défendent  et illustrent la nécessité de démocratiser – moderniser le pays afin de déboucher sur la création d’un Etat-nation prospère et stable. Donc, ce n’est pas un hasard que l’intitulé de son autobiographie politique inédite ( « Mémoires et souvenirs d’un combat politique pour la démocratisation et la modernisation d’Haïti») soit si éloquent quant à ses objectifs et à ses soubassements doctrinaux. 

Voilà, le mot-sésame est lâché. Intellectuel engagé, il était avant tout un doctrinaire, une espèce en voie d’extraction. Chose rare en Haïti où, depuis plusieurs décennies, certaines notions n’ont aucune importance, aucun sens. C’est déconcertant. Un pays sans âme !

Avec cet éphémère président du premier semestre 1988, il en était autrement. L’amour de la patrie était, chez lui, une vertu cardinale. La passion du bien public qui guidait ses choix faisait de lui une personnalité hors du commun, une sorte d’extra-terrestre dans notre univers (pas seulement politique) peuplé d’esprits inconstants, d’apatriotes criards et de «valets de l’impérialisme».

Comment peut-on refonder Haïti sans cette veine patriotique ?  

Nullement abattu par ses déboires politiques et électoraux, Leslie F. Manigat nous a indiqué les voies de sortie de cette crise de société multiforme qui nous ronge  les problématiques abordées par l’auteur de «La crise haïtienne contemporaine»  (1995) et Introduction à l’étude de l’histoire de la diplomatie  et les relations internationales d’Haïti (2003) anticipent les grands défis et préoccupations qui aujourd’hui, balisent nos sujets de discussion ( le départ ou la pérénnisation de la Minustah en est). C’est assurément à l’aune du traitement de ces défis ainsi que des questions de pouvoir  y afférentes qu’il convient de considérer la portée et l’actualité de la doctrine de Leslie F. Manigat. 

C’est donc dans la mesure où nos dirigeants arriveront à maîtriser ces deux paramètres- les contradictions internes et les enjeux internationaux- que la société finira par accéder à la modernité. C’est là le second trait fondamental de toute sa  pensée. Incapable d’enfanter un régime politique véritablement démocratique, elle s’est trouvée écartelée entre la « bamboche  démocratique » et l’anarcho-populisme» à travers ses épuisantes .

N’en déplaise à cette classe politique post-duvaliériste et néo-Jean-Claudiste, l’œuvre historique de Leslie F. Manigat  sont des sources vivifiantes de patriotisme et de foi ardente en la patrie. Son ouvrage-marathon « Deux cent ans d’histoire un peuple haïtien 1804-2004 » en présente une synthèse thématique : le destin exceptionnel d’Haïti, la tragédie de son évolution nationale, les conditions du renouveau.

 

Source : Pierre-Raymond Dumas - lenouvelliste