Nouvelle Lettre Circulaire Exceptionnelle

Chers compagnons de lutte,

Aujourd'hui,  huit jours après cette catastrophe qui a frappé le pays, je souhaite m'adresser à tous nos compagnons, à ceux qui souffrent pour avoir été victimes comme à ceux qui, de l'étranger, vivent les affres de l'inquiétude et de l'impuissance.


Aux premiers, je réitère mes sentiments de solidarité et de compassion. Je voudrais qu'ils sachent et qu'ils réalisent par les gestes et dans les faits, que le RDNP est une grande famille. Je demande donc de leur envoyer toute l'aide possible, directement ou par l'intermédiaire de notre trésorier qui est encore bloqué à Paris et qui doit rentrer sous peu. Un mot, une enveloppe, un geste de chacune des Branches Régionales de l'extérieur apportera du baume sur leur existence endolorie par l'épreuve.

Le Bureau Central du RDNP à Delmas est en ruines et ce n'est que vendredi que j'ai pu avoir des nouvelles des deux personnes qui pourraient encore s'y trouver, en ce mardi fatidique, à 4h53, je veux parler du gardien si dévoué, François et de la secrétaire Lenise. Les deux sont heureusement sains et sauf. Aussi, sous réserve d'informations que nous attendons avec angoisse, notre parti n'aura pas eu à déplorer de pertes de vies humaines.

J'ai progressivement des nouvelles de quelques uns de mes proches collaborateurs :
-Nicole a vu sa maison de Petit Goâve s'écrouler, mais elle a pu en sortir rapidement sa mère souffrante.
-Sulface, un des braves "mousquetaires"  n'a plus de maison à Delmas 19; il en est de même de François.
-Edmond est venu à pied, de Pétionville, pour s'enquérir de nos nouvelles : sa maison a été détruite.
-Luckner a sa maison endommagée, mais elle est encore habitable.
- Mario Dufour et sa famille n'ont rien comme dommages conséquents; il en est de même pour le Dr Louis Charles;
-Je n'ai encore aucune nouvelle du Dr Beaubrun : il se trouvait à mes côtés au moment du drame aussi, nous savons qu'il est vivant mais, depuis, rien; la ville de Léogane a été l'épicentre du tremblement de terre et est détruite à 80%.
Il en reste encore un certain nombre dont on est sans nouvelles.. Je ne crois pas qu'ils ont la possibilité de consulter l'Internet, mais ils savent combien je suis préoccupée par leur sort. Maintenant que les communications sont rétablies, même si les circuits sont embouteillés, ce qui rend les conversations difficiles, je leur demande, si possible, de nous rassurer sur leur existence et celle de leurs familles.

A ceux de nos compagnons qui vivent à l'étranger, j'adresse mes remerciements pour leur constante sollicitude. Maintenant, tout le monde sait que Leslie et moi nous sommes vivants : le bruit courait, propageant la nouvelle de notre disparition. J'ai fait deux interventions à la radio pour dissiper ces fausses informations. La maison a tenu, seules les clôtures ont cédé. Beaucoup de "dégâts" à l'intérieur; nous sommes en train de résoudre les problèmes matériels. Ne vous inquiétez pas pour nous : nos ennuis sont relatifs et supportables en comparaison avec les drames que vivent nos compatriotes. Il suffit de faire un tour en ville pour se rendre compte de l'étendue des destructions; d'ailleurs, vous avez des témoignages télévisés qui doivent vous paraître hallucinants mais, croyez-moi, ils sont réels et les vivre physiquement, par la vue et l'odorat, est encore plus éprouvant. Une odeur fétide de mort plane sur la ville et dans les centres de sinistés que j'ai visités, je suis frappée par deux impressions contradictoires : d'un côté une résignation digne qui n'exclut pas l'entraide malgé le dénuement individuel; de l'autre une frustration visible sur des visages émaciés par les morsures de la faim, mais sur lesquels percent déjà des signes de colère car, comme vous le savez, l'aide sous toutes ses formes (abris, tentes, eau, médicaments, nourriture) est arrivée mais, par manque de logistique, à cause de l'absence coupable de l'Etat, elle ne parvient pas aux victimes, huit jours après le séisme !  Je crains les effets désastreux quoique justifiables de cette colère qui monte, non seulement à Port-au-Prince, mais aussi dans les villes de province et dans les sections communales dont, à mon sens, on ne parle pas assez, mais où vivent toutefois 60% de la population certainement sinistrés et abandonnés plus que jamais, plus que d'ordinaire. Les "pitite soyèt" ne seraient-ils pas des citoyens comme les autres, nos compatriotes comme les autres ?

A tous les compagnons de lutte, je dis ceci : la vie doit reprendre dans le pays et nous devons y contribuer. La priorité actuellement est de dégager des décombres des survivants possibles, malgré le doute, après tant de jours, enterrer les morts et apporter toute l'aide possible aux sinistrés.

A brève échéance, il faudra que les banques rouvrent leurs guichets, les boutiques et supermarchés leurs portes, les services publics assumer leurs responsabilités (eau, électricité, voirie, santé publique). C'est un impératif car la vie doit reprendre.

Un peu plus tard, il faudra songer à rouvrir les écoles et les centres universitaires. De nombreuses écoles se sont effondrées, celles qui sont connues, tout comme les inombrables "écoles borlette" déjà insalubres. Plusieurs Universités se sont écroulées, en particulier la mienne, l'Université Quisqueya dont les batiments du nouveau campus, inaugurés il y a tout juste un mois, n'ont pas résisté à la fureur de la nature. Il s'agira de faire l'inventaire des immeubles irrécupérables, ceux que l'on peut réparer et enfin ceux qu'il faudra reconstruire. Réorganiser le système éducatif sera un acte de foi car nos enfants et nos jeunes sont l'avenir de notre pays.

En ce qui nous concerne, nous du RDNP, n'oubliez pas que nous avons l'habitude des épreuves. Celle-ci est naturelle et nul ne pourrait la prévoir et la prévenir. Comme tous nos compatriotes, nous sommes frappés d'une manière ou d'une autre, dans nos biens parfois, par les pertes matérielles et les décès de parents et d'amis. Je ne veux pas entendre des jérémiades ni des paroles défaitistes : le pays n'est pas victime d'une espèce de "madichon" et il ne s'agit pas non plus de faire intrvenir  la colère de Dieu pour les fautes que nous aurions commises. Non ! Nous ne sommes pas coupables de cette catastrophe et il faudra entreprendre un vaste programme d'éducation civique pour dire la vérité, préparer la population à faire face à cette évidence scientifique : le pays, par sa position et en raison des failles qui le traversent,  est exposé aux mouvements sismiques et nous devrons nous organiser pour cela : nouvelles méthodes de construction, fermeté de l'Etat pour faire respecter les interdictions et les consignes de sécurité, préparation des jeunes qui doivent savoir quoi faire en cas de séisme, afin de se protéger et aider les autres, organiser les secours afin qu'ils atteignent les victimes. Tout un vaste programme qui nous interpelle et nous oblige à repenser jusqu'à notre manière de vivre.

Le RDNP, plus que jamais doit se préparer à participer à cette oeuvre de reconstruction nationale qui devra rapprocher tous les Haitiens de l'intérieur et de l'extérieur, en un coude à coude fraternel pour le sauvetage de la patrie.

Cela s'appelle l'espérance malgré nos larmes actuelles. Cela s'appelle aussi avoir foi dans le destin de notre pays que nous ne devons pas laisser aux mains des étrangers qui nous aident maintenant d'une manière admirable et envers lesquels, gouvernements, institutions, associations, partiticuliers, j'exprime sincèrement, au nom de notre peuple, mes plus vifs remerciements. Mais n'oublions pas, ce drame doit nous permettre de relever la tête, d'effacer ce label de "pays failli" qui nous colle sur le dos, nous présente comme un cas d'espèce à étudier dans les centres de recherche universitaire avec intérêt mais aussi pitié et compassion, et qui risque de stériliser tout effort citoyen pour le redressement. Nous ne devons pas nous laisser accabler par l'adversité !

Nous disons que plus que jamais, nous devons nous engager. Nous ne serions pas ce que nous sommes si nous pensions autrement.
Dans cette entreprise qui nous interpelle, je veux avec moi, à mes côtés, le meilleur de chacun, car je veux mobiliser cette formidable capacité de résistance et de résurgence qui nous a fait triompher des adversités que notre parti a subies au cours de ses 30 ans d'existence.

Ce matin, dans la cour de chez moi, au milieu des décombres des murs de clôture, j'ai vu émerger une fleur sauvage : c'était pour moi un symbole qui m'a fait sourire et m'a comblé le coeur d'espoir. La vie est là, insistante et invitante, parmi les drames. Nos aimons dire en Haiti "la vie est un grand maitre".

Soumettons-nous à sa loi. Aujourd'hui, malgré tout, elle nous impose le devoir de réagir et d'espérer !

Tèt frèt, kè cho, men pwop !
Ensemble, ensemble, ensemble, ensemble, jusqu'à la victoire finale !

Mirlande Manigat
Secrétaire Générale