B) Vers l’Essor Industriel et Commercial

Dans l’état actuel des choses chez nous, le plus grand mérite d’un développement industriel est d’être d’abord un EMPLOYEUR, le travail étant la priorité des priorités, le travail productif et rémunérateur, bien entendu. Cette constatation amène une double observation liminaire. D’une part le type d’industrie à favoriser chez nous doit être fournisseur d’emplois, c’est-à-dire gros utilisateur de cerveau et de bras donc à plus forte intensité de travail (labor intensive) que de capital (capital intensive). Pour le moment, par conséquent l’automation ne devrait pas être notre préoccupation première, bien qu’en théorie ce facteur de productivité soit désirable. D’autre part, on à beau mettre en avant la nécessité de donner du travail, ce qui importe au moins autant, ce sont les conditions de travail car il y avait beaucoup de travail à l’époque coloniale, mais c’était dans l’esclavage et uniquement dans l’agriculture.
Si nous avons résisté à l’idée facile, traditionnelle, communément admise, que la politique de la terre est la seule vraie et que le premier et le dernier mot du développement haïtien serait l’agriculture d’abord, ensuite, encore et toujours, c’est que tout en accordant à la croissance de production du secteur primaire ce que nous ne croyons pas que l’agriculture doive être le seul moteur du développement haïtien. Nous croyons plutôt qu’il nous faut corriger cette vision par la part de vérité contenue dans le dicton anglais du 19eme siècle : « Qui récolte le coton gagne 1, qui le file gagne 2, et qui le tisse gagne 3 ».
A nos yeux le volet industriel est sans doute second, mais nullement secondaire dans une politique haïtienne de développement. L’exemple modèle de Taiwan dont on continue de parler montre un développement industriel couplé à un développement agricole important (contrairement au modèle Caraïbe), et donc un grand équilibre agriculture-industrie. Au fond, reconnaissons-le, le président de la Cote-d’Ivoire n’avait pas tort d’énoncer le principe : « Une économie agricole, aussi diversifiée soit-elle, n’a jamais caractérisé un pays développé. Une autre étape est à franchir, elle se nomme industrialisation ». Pour dynamiser la croissance, il n’y a sans doute pas comme l’industrie : encore faut-il savoir de quels types d’industrie il s’agit.
Le pouvoir RDNP dans le cadre de son option libérale de l’économie de marché assortie de son souci de concilier libéralisme d’une part, intérêt national et justice sociale d’autre part, entend mener une politique de développement industriel selon un schéma directeur de l’état qui organise, oriente et dynamise l’initiative privée, tout en développant lui-même les actes d’accompagnement et d’assistance générale pour accélérer ce développement, dans le cadre d’une véritable stratégie industrielle de la nation haïtienne et d’une identification des axes du développement industriel haïtien.

Nous réunissons cette stratégie industrielle en dix (10) constats et propositions :

Et d’abord, un principe général d’orientation préférentielle : identifier, à titre indicateur, les produits et les secteurs pour lesquels le pays bénéficie ou peut bénéficier d’un avantage comparatif apparent ;
Entreprendre les travaux d’infrastructure pour l’expansion industrielle de manière à pouvoir offrir, à un coût réduit, des sites industriels aménagés, l’électricité à tarif préférentiel, des facilités de transport (routier, maritime, aérien voire même ferroviaire à explorer) et de communication (principalement vers et avec l’extérieur : TELECO, par exemple). L’établissement du zoning industriel serait l’occasion d’une politique de redéploiement de l’implantation des activités industrielles à travers l’espace territorial national c’est-à-dire les provinces en tenant compte des vocations régionales et de l’érection de pôles urbains de développement régional hors de Port-au-Prince.
Assouplir le régime de protection en remplaçant les contingents d’importation par des tarifs douaniers et en modulant selon divers cas à distinguer. Mettre fin à la protection pour les entreprises archaïques import-substitution qui ont besoin du monopole pour survivre artificiellement à les obliger à se moderniser, à être plus compétitives et à fonctionner en régime de concurrence. Garantir au contraire, la protection à des industries, anciennes ou nouvelles, modernes, de haute productivité, travaillant pour la consommation nationale dans un contexte de concurrence et desservant un marché interne que la nouvelle demande rurale va rendre plus dynamique ;

En ce qui concerne l’apport du capital privé, le RDNP estime d’importance les points suivant. D’abord, encourager l’investissement provenant de l’épargne privée et de l’accumulation du capital privé national de source agricole, commerciale et/ou professionnelle. Et pour cela, il faut créer un climat propice à l’investissement industriel. Ensuite, organiser le financement interne par des crédits à faible intérêt relatif, à long terme, d’octroi facile et de montant appréciable. C’est la le rôle non seulement d’Instituts de Crédit Industriel mais aussi des banques privées ordinaires dont on est en droit d’attendre une politique plus active, plus soutenue et plus rapide dans ce domaine. L’Etat pour sa part, en faisant fonctionner un Fonds d’Investissement Industriel, à l’intérieur d’une Banque de Développement pourvoyeuse de Capital-risque organisera des facilités de crédit et même pourra adopter le système des prêts participatifs ou de crédit-participation. Dans tout cela, la préoccupation constante est aussi de favoriser l’émergence d’un type d’entrepreneur national, d’esprit moderniste et progressiste dont, d’ailleurs, nous commençons à avoir de remarquables échantillons. Ensuite attirer et accueillir les capitaux étrangers. Il faut pour cela, moderniser notre Code d’Investissement, avec des règles du jeu claires, nettes et précises. En ce qui concerne les exemptions fiscales notamment l’impôt sur le revenu, la Banque Mondiale elle-même, constatant que le capital investi en Haïti est amorti en 3 ou 4 ans au maximum, ne voit pas la nécessité d’exemptions fiscales de 10, 13, ou même de 20 ans de la tradition haïtienne. Nous préconisons une durée de 5 ans pour les exemptions fiscales et pour 5 autres années un taux faible de taxation (10%). Les franchises douanières devraient surtout concerner les biens d’équipement ou la justification, évidente, s’impose d’elle-même, laissant, pour le reste, une certaine flexibilité pour permettre une marge de jeu selon les besoins de l’économie et les exigences de l’intérêt national, en excluant toutefois le favoritisme et les pots de vin grâce à une grille de cas sur critères préalablement définis. Le rapatriement des bénéfices est un point sensible, indispensable pour être internationalement compétitif, avec toutefois des incitations au réinvestissement. Le pouvoir RDNP négociera, au profit des investisseurs, avec un nombre croissant de pays étrangers pour éviter la double taxation et même obtenir le bénéfice du « tax sparing systeme ». Enfin, il faudra assurer, de manière plus dynamique, à l’image de nos rivaux régionaux et extra-régionaux, la promotion industrielle d’Haïti comme « land of opportunities », dans un effort combinant l’intervention de l’état et l’action du secteur privé. Enfin, les coopératives seront encouragées à s’adonner aux activités de production industrielle, notamment dans l’agro-industrie, la pêche et l’aquaculture, l’artisanat.
En ce qui concerne l’apport du travail, il faut d’abord généraliser la conception que l’ouvrier n’est pas seulement une rubrique comptable « masse salariale », à coté des matières premières, mais un véritable partenaire dans le processus de production. L’industrie est la plus grande créatrice d’emplois urbains. L’ADIH signalait qu’en 1977, le gouvernement haïtien payait un total de 23 millions de dollars à ses 16.000 employés de l’administration publique tandis que le volume des salaires injecté dans l’économie nationale par la seule industrie d’assemblage pour 45.000 ouvrières s’élevait alors déjà a plus de 30 millions de dollars. Si un certain réalisme doit prévaloir en ce qui concerne l’atout que représentent les bas salaires haïtiens comme incitation à l’investissement industriel, et qui exerce un effet dissuasif sur la tentation-réflexe d’une politique d’augmentation sensible des salaires, pour éviter de tuer la poule aux œufs d’or  (en ce qui concerne essentiellement la sous-traitance), il n’en demeure pas moins que la condition ouvrière en Haïti est caractérisée par les nombreuses difficultés confrontées par les travailleurs dans leur lutte pour atteindre des niveaux décents ce dont les industriels eux-mêmes se déclarent conscients à l’extrême. Comme nous, du RDNP, l’avons d’ailleurs suggéré dans notre « Adresse à la nation en date du 2 octobre 1986 dans une de nos 12 propositions, Il faut augmenter le pouvoir d’achat plutôt que les salaires » en combattant la cherté du coût de la vie par la baisse autoritaire, après enquête, des prix des produits de première nécessité. En outre, la nécessité s’impose d’améliorer les conditions de travail et d’accorder des avantages parallèles de caractère social. Le besoin de main d’œuvre qualifiée et de cadres compétents devra être satisfait par un effort vigoureux dans le domaine de la formation professionnelle et technique qui va au-delà de la simple mesure nécessaire de lui consacrer les fonds provenant de la taxe d’apprentissage de 1%. Par-dessus tout, l’existence de syndicats ouvriers responsables, informés de la situation du marché tant sur le plan national qu’international, vigilants comme cela est leur fonction légitime dans la défense et la promotion des droits des travailleurs, reconnus et acceptés par le patronat comme la loi le demande, permettra de les ériger en interlocuteurs valables pour le nouveau dialogue social.
Le Pouvoir RDNP favorise les Petites et Moyennes Industries (PMI) par rapport aux méga-projets, conformément aux recommandations de l’ONUDI, et parmi les PMI, celles qui réalisent la maximisation de la valeur domestique ajoutée. Un train de mesures financières, fiscales et économiques matérialisera cette volonté.
En ce qui a trait à la psychologie et aux attitudes, le pouvoir RDNP préconise, à l’extérieur, un comportement plus agressif pour prendre sa place au soleil de l’économie mondiale, en mettant fin à une attitude et à une psychologie de victime, d’exploité et d’opprimé en vue de prendre en charge notre destin et nous brancher sur les circuits des relations économiques internationales. A l’intérieur, il préconise un pragmatisme contractuel avec l’abandon de l’approche en adversaires dans les relations entre état, le patronat et les syndicats pour celle  en partenaires.
En ce qui a trait au rôle propre de l’état, outre celui de régulateur et d’arbitre, et de contrôleur des secteurs de commandement stratégique de l’économie, il est appelé, dans certains cas à être nécessairement le promoteur du développement industriel. Sans faire de lui le rival privilégié de l’entreprise privée, ce qui n’est pas son rôle, et sans encourager l’interventionnisme qui s’est révélé souvent inapte, il lui arrivera cependant d’être le détenteur obligé d’un portefeuille d’entreprises publiques et même le leader de l’investissement industriel pour susciter rapidement des projets-pilotes dans des filières industrielles considérées comme prioritaires là où : 1) le secteur de production est important pour l’économie nationale dans une stratégie de développement ; 2) le capital privé est ou indifférent ou peu intéressé ou inexistant ; 3) la possibilité de réserver l’avenir existe pour une privatisation éventuelle a l’horizon. Mais son rôle le plus utile demeurera d’encourager l’initiative privée des entrepreneurs, tout en se préoccupant du bien commun.      
En ce qui concerne les marchés, la stratégie industrielle du pouvoir RDNP s’orientera dans les deux directions du marché national et des marchés extérieurs. En ce qui concerne le marché national, d’autant plus étroit que les 5 millions et demi de consommateurs mais sont appelés à le devenir nous visons au plus haut degré possible d’autosuffisance et de sécurité alimentaires, et nous voulons valoriser et privilégier le local en achetant national à condition que ce soit un produit national de qualité. En ce qui me concerne les marchés extérieurs, l’état doit développer une politique de promotion à l’exportation, en favorisant les industries orientées vers la vente à l’étranger, en facilitant et en simplifiant les formalités de procédure à l’exportation, en aidant à la conquête des marchés extérieurs grâce à des facilités et stimulants, en accordant des primes à l’exportation en organisant des semaines de produits haïtiens à l’étranger etc. Mais il faut faire attention aux tendances du marché mondial pour ne pas exposer l’avenir industriel du pays à des déconvenues. Tel qui préconise un avenir sucrier pour le développement d’Haïti avec l’extension de la production de sucre de canne serait mieux avisé de reprendre le dossier. Quiconque préconise le jus et les conserves d’ananas ferait bien de s’informer au sujet de la surcapacité mondiale actuelle des usines de transformation d’ananas.
Enfin, il y a bien des marchés à privilégier soit à cause de leur proximité, soit à cause de leur facilité d’accès pour nous, soit à cause des deux. Dans ce dernier cas, se trouve le marché nord-américain, proche et ouvert (voisinage géographique et libre aces grâce au CBI). Dans le deuxième cas se trouve la CEE surtout quand nous serons membres à part entière de la Convention de Lomé, ce qui nous mettra en relations plus étroites, au surplus, avec les pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (le groupe ACF). Dans le premier cas, avec possibilité d’y ajouter le second pour être le troisième, se trouve le marché caribéen anglophone, s’il est dans notre avantage de nous faire admettre dans la CARICOM. Dans le premier cas se trouve le marché latino-américain, à condition que nous jouions un rôle plus actif dans le SELA et que celui-ci ait les moyens de nous accorder un intérêt plus concret et plus soutenu, au-delà de la rhétorique de la coopération sub-hémisphérique.

Nous définissons et identifions dix (10) axes de développement industriel pour Haïti.       

1.L’axe agroalimentaire, qui sera le fer de lance de l’expansion industrielle haïtienne. L’agroalimentaire utilisera, dans nos régions, notre production agricole et la transformera, tout en absorbant, dans la mesure du possible, le surplus de la main-d’œuvre inactive locale. En effet, la politique industrielle du pouvoir RDNP est tout d’abord, complémentaire de celle du développement agricole, pour satisfaire les besoins premiers des producteurs et pourvoir à l’approvisionnement des centres urbains en premier lieu, selon notre vision d’une économie auto-centrée, et en second lieu, pour générer des surplus à l’exportation. Car la première voie du développement à structurer et à fortifier est celle des industries tributaires de la croissance agricole à promouvoir dans l’immédiat, pour réaliser l’intégration totale de la production agricole et des centres de transformation, de préférence dans les zones même de la production. Cet axe agroalimentaire inclut, par exemple, les filières de transformation suivantes : maïseries (transformation en farine, silos de conservation), huileries (coprah, coton, vétiver, ricin et vu les conditions favorables à leur culture en Haïti, tournesol, colza, palmier à huile africain), boissons et brasseries, rhums et alcools, conserveries de fruits et légumes, confiseries, conserves de poissons etc.
2.Maîtrise de la technologie : Le développement de ce premier axe entraîne celui de la maîtrise de la technologie de compresseurs, évaporateurs, condensateurs, congélateurs, climatiseurs etc.
3.L’axe engrais : intrants indispensables au succès du plan de développement agricole. Il s’agit d’engrais de fabrication locale bien sur, engrais naturels (fumures organiques) et engrais chimiques.
4.L’axe industrie mécanique (forgerons, mécaniciens, réparateurs notamment pour l’outillage agricole et industriel).
5.L’axe des industries de la construction : (argile, sables, granit, blocs et matériaux de construction, cimenteries, céramique, industries du bois sous le contrôle de l’Institut du patrimoine Forestier (à créer), marbre). C’est sans doute l’axe le plus proche d’une problématique industrie extractive dont la viabilité demeure en général inconnue (charbon, pétrole, cuivre, bauxite, or etc.). A cet égard, un exemple de la bonne direction à exploiter de manière plus décisive nous est fourni par l’ardoquin, bloc hexagonal fait de sables, graviers etc. de fabrication locale à partir de matériaux locaux, pour servir au pavage des routes et des rues et par la briquette de terre et d’argile pour les constructions privées, les deux évitant l’usage de l’asphalte et réduisant l’usage du ciment. Dans la même veine, il faudrait même continuer à étudier le béton armé en tiges de bambous au lieu du fer.
6.L’axe textile : à restructurer et à moderniser conformément aux possibilités de production de matières premières et d’ouverture de marchés (filatures, tissages, finition, confection, bonneterie etc.)
7.Sous-traitance : L’axe aujourd’hui traditionnel de la sous-traitance et qu’il ne faut pas décourager, au contraire, puisque son implantation est déjà chose acquise (électronique, balles de base-ball etc.), qu’elle absorbe une partie de notre abondante main-d’œuvre, et qu’elle réalise un transfert de technologie. Cependant nous en connaissons les limites et la fragilité.
8.L’axe du secteur artisanal et artistique (vêtements typiques, meubles chaussures, et travail de cuir, vanneries, art décoratif, beaux-arts) dont il faut défendre, promouvoir et illustrer le caractère national et le goût local sinon la saveur locale.
9.L’axe de l’industrie pharmaceutique (transformation des plantes thérapeutiques). Un autre type d’industrie pour un autre avenir.
10.L’axe de l’industrie touristique, un de nos atouts majeurs, avec notre position, notre nature, notre histoire, notre culture, notre accueil. Il faut la relancer, dynamiser, promotionner après l’avoir relevée de sa dégradation actuelle (boat people, troubles politiques, corruption, SIDA etc.) caractérisée notamment par un taux de fréquentation catastrophique de nos hôtels. La relance et l’expansion nouvelle de l’industrie touristique en Haïti se feront en tenant compte de sa compétitivité par rapport à nos voisins de la Jamaïque, de la Barbade, de la République Dominicaine et de Cuba (qui y revient). En faveur desquels nous avons laissé se perdre l’opportunité qui était nôtre d’être la Mecque du tourisme caribéen. Il faut aussi tenir compte de la priorité majeure d’améliorer la qualité du service notamment par un effort vigoureux et constant de formation du personnel en élevant le niveau de l’Ecole Hôtelière par la création de deux cycles supérieurs de formation additionnels à celui dans lequel elle est jusqu’ici confinée, le niveau de la formation de base en deux ans.