Un mapou vient de tomber. Il fait nuit en plein jour dans le paysage d’Haïti. Le cœur de la classe politique et de l’intelligentsia haïtienne est en larmes. Manigat est cet historien qui croyait comme son homologue Alain Gérard Slama que « la politique, c’est aussi et d’abord du discours ». Cette espèce de politicien haïtien rare qui avait compris que la République se dérobe sous nos yeux et qu’il a fallu proposer autre chose. Malheureusement, le temps ne lui a pas donné la chance de mener la « Respublica » au bon port. Il est une grande victime de l’incompréhension des uns et des autres. Un « exclu », en quelque sorte, si l’on doit parler un peu à la manière sartrienne, si l’on considère la façon dont il est considéré par ses semblables. Que ce soit des intellectuels envieux ou des politiciens jaloux de son mérite et tout le respect, toute la considération qu’il jouit dans le monde de la recherche.

C’est toutes les couches et structures de la société qui sont en deuil. On ne verra plus le professeur Leslie François Manigat, écrivain prolixe, à la plume fertile et au verbe élevé, le regard pétri de curiosité, la tête remplie d’idées, déambulé dans la cour du Parc historique de la Canne à sucre, venu soit pour s’acheter des livres quand il n’est pas en signature. Le deuxième invité d’honneur de Livres en folie –la plus prestigieuse foire du livre d’Haïti- a laissé derrière lui une longue liste d’ouvrages de haut niveau dans lesquels il fait le point, en des réflexions sérieuses, approfondies et impartiales, toujours avec ce regard d’historien rigoureux, sur des phénomènes idéologiques, politiques renvoyant ainsi aux grandes questions ou mutations qui bouleversent le monde. 

En effet, Manigat est, quoi qu’on dise, quoi qu'on fasse, cet homme qui illustre à bien la différenciation établie par Max Wéber dans « Le savant et le politique » sur le « métier et la vocation de savant », et sur « le métier et la vocation d’homme politique ». Non seulement qu’il a une passion de l’histoire, mais il est très rigoureux et fait toujours preuve de modestie et de disponibilité d’esprit tel que le conçoit ce fameux sociologue allemand pour qui la science est un champ de savoir qui « requiert de la modestie et de la disponibilité d’esprit ». En même temps qu’il est aussi, sur le plan politique, cet homme d’action qui agit et prend position en fonction des valeurs qu’il a toujours défendues : liberté, égalité, démocratie, union nationale et autres… Sa défaite contre l’homme de Marmelade aux élections de 2006 après un arrangement entre le gouvernement intérimaire et la commission électorale –donc en désaccord avec la Constitution de 1987- n’a rien enlevé à sa sagesse, son courage et son sens inné de la grandeur. À tel point qu’il avait même prévu sinon annoncé des jours sombres pour ce pays. Manigat, un savant-politique. Un homme qui, comme Hergé l’a dit au sujet de son personnage Tintin, aurait pu dire : « Si je vous disais que, pour Haïti, j’ai mis toute ma vie »…

Voici une liste non-exhaustive des publications de Leslie François Manigat : 

1- Le délicat problème de la critique historique : les sentiments de Pétion et de Boyer vis-à-vis de l’indépendance nationale dans la conjoncture de 1809-1814, Imprimerie de l’État, 1955.

2- La révolution haïtienne de 1843 : Essai d’analyse historique d’une conjoncture de crise, Port-au-Prince, 1955.

3- La crise haïtienne contemporaine, éditions des Antilles, coll. Du CHUDAC, 1995, 364p.

4- La politique d’éducation nationale du Roi Christophe, Port-au-Prince, 1956.

5- L’avènement du général Lysius Félicité Salomon Jeune à la présidence d’Haïti, Port-au-Prince, imprimerie de l’État, 1957.

6- La politique agraire d’Alexandre Pétion, Port-au-Prince, Imprimerie la Phalange, 1962.

7- L’œuvre politique et administrative de Lysius Félicité Salomon, le contemporain capital du XIXe siècle haïtien, Port-au-Prince, 1963.

8- Le reclassement des Forces politiques en Amérique Latine, l’Univers politique, 1968.

9- Annuaire français des relations internationales, Paris, édition Richelieu, Imprimerie nationale, 1968.

10- Statu quo en Haïti?: d'un Duvalier à l'autre : l'itinéraire d'un fascisme de sous-développement, Paris, 1971

11- L’ère du gel des conflits entre états d’Amérique Latine, Revue française de Science politique, Paris, Vol. XXI, No 6, 1971

12- Évolution et révolutions. L’Amérique latine au XXe siècle (1889-1929), éditions Richelieu, coll. du monde contemporain, 1973 ; Seuil, 1991

13- Ethnicité, nationalisme & politique: le cas d'Haïti, éditions connaissance d’Haïti, 1975.

14- L’indigénisme en Amérique latine et dans la Caraïbe, 1985.

15- Au cœur de la société traditionnelle. Problématique et destins d’Haïti-Thomas du XIXe au 20ème siècles, Port-au-Prince, Les cahiers du CHUDAC, janv-sept. 1988.

16- Eventail d’Histoire vivante d’Haïti, des préludes à la révolution de Saint-Domingue jusqu’à nos jours. Traité d’histoire de 1789 à l’an 2000, 4 tomes.

17- Le drapeau de l’Arcahaie et la seconde phase des guerres de l’indépendance nationale, Port-au-Prince, mai 2003.

18- Nouveaux combats pour l’histoire vivante : les huit et derniers essais sur l’Histoire de relations internationales d’Haïti, Port-au-Prince, Imprimerie Média, 2008, 373p.

Source : Dieulermesson PETIT FRERE - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.